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roi, dans lequel la teneur et les motifs de l’acte du 1er avril sont présentés du plus fort de ma plume ; enfin, une dernière consultation, faite et signée par nos premiers jurisconsultes, et le plus ferme résumé que toutes les lumières du barreau rassemblées aient pu donner de mes défenses.

Si nous étions au parlement de Paris, je croirais affaiblir cet excellent travail en y ajoutant un seul mot de moi, surtout dans une ville où mes liaisons avec M. Duverney sont connues de tout le monde.

Mais en Provence, où ces liaisons sont ignorées, ou chacun, dit-on, est frappé de l’air d’assurance avec lequel le comte de la Blache atteste que « jamais il n’y eut de liaison particulière entre M. Duverney et moi : que toutes les lettres familières que j’ai jointes à l’acte du 1er avril sont autant de pièces fausses et forgées par moi, dans le cours des procédures, pour répondre à mesure aux objections qu’on me faisait, et me dégager du mauvais pas où je m’étais engagé ; » je dois écarter la prévention, les doutes et la défaveur qu’on a voulu verser sur moi dans le parlement et dans le public, et fermer la bouche une bonne fois à mon ennemi, puisque j’en ai de si puissants moyens.

Pour y procéder avec sang-froid et méthode, je diviserai ce discours en deux parties : la première, intitulée Moyens du sieur de Beaumarchais ; et la seconde, Les ruses du comte de la Blache.


PREMIÈRE PARTIE.
moyens du sieur de Beaumarchais.

Je suppose d’abord qu’on a lu la dernière consultation du comte de la Blache ; et ma joie, en ce moment, est de penser qu’elle est dans les mains de tout le monde. Voici donc comment j’y réponds :

Je vous ai répété, sous toutes les formes possibles, monsieur le comte, que la loi n’admet point d’allégations ni de soupçons contre les engagements et les personnes ; qu’elle proscrit avec indignation toutes ces insinuations de dol, de fraude et de surprise accumulées sans preuves ; et surtout l’odieux plaidoyer de celui qui ne craint pas de dénigrer ouvertement, pourvu qu’il ne soit pas contraint d’accuser juridiquement.

Je vous ai répété que les clameurs d’un injuste héritier ne suffisent pas pour annuler les engagements du testateur, antérieurs à son droit, lorsque son intérêt est de ne les point remplir ; qu’il faut, pour les ébranler, une action directe et légalement intentée, au risque et péril de l’accusateur ; que tout autre voie est un crime aux yeux de la loi, tient à la plus basse calomnie, et ne doit occuper les tribunaux que lorsqu’on les implore pour en obtenir la punition.

Lors donc que vous osez me faire soupçonner de l’infâme lâcheté d’un faux, pourquoi n’osez-vous m’en accuser ? Perfide adversaire ! ce n’est chez vous défaut ni d’inimitié ni d’envie de me nuire, et pour ceux qui vous connaissent bien, cette retenue de votre part suffirait seule pour montrer quel vous êtes, si je n’avais pas d’ailleurs des moyens victorieux pour le faire.

Laissons de côté la distinction des grades ou des rangs ; laissons les petites ruses qu’elle enfante, les productions sourdes qu’elle attire, les séductions de sociétés qu’elle occasionne. Si tout cela ne s’anéantissait pas devant les tribunaux, si les prérogatives du grade ou du crédit y pouvaient influer sur le juste et l’injuste, un particulier dénué, s’y battant contre un noble, aurait toujours en face un ennemi plastronné.

Non qu’il faille oublier ce qu’on doit dans le monde aux rangs élevés ! Il est juste, au contraire, que l’avantage de la naissance y soit le moins contesté de tous, parce que ce bienfait gratuit de l’hérédité, relatif aux exploits, qualités ou vertus des aïeux de celui qui le reçoit, ne peut aucunement blesser l’amour-propre de ceux auxquels il fut refusé ; parce que si, dans une monarchie, on retranchait les rangs intermédiaires entre le peuple et le roi, il y aurait trop loin du monarque aux sujets : bientôt on n’y verrait qu’un despote et des esclaves, et le maintien d’une échelle graduée, du laboureur au potentat, intéresse également les hommes de tous les rangs, et peut-être est le plus ferme appui de la constitution monarchique.

Voilà ma profession de foi sur la noblesse. Mais comme il ne s’agit pas ici de décider lequel de nous est le plus ou le moins élevé, mais seulement lequel est un légataire injuste, ou bien un faux créancier ; débiteur et créditeur, voilà nos seuls noms. Dépouillons donc de bonne foi ce qui nous sort de cette classe ; écartons tout prestige, et discutons clairement.

Au seul aspect de nos prétentions réciproques, une réflexion s’offre d’abord à ceux qui n’ont pas étudié notre affaire : c’est qu’il est plus probable qu’un acte fait entre deux hommes reconnus sensés soit exact et vrai, qu’il ne l’est qu’un légataire universel soit juste et désintéressé. Vous pouvez bien nous accorder ce point : ce n’est pas là ce qui vous fera perdre votre procès.

Il s’en présente encore une autre : c’est qu’il paraît étrange à chacun, malgré l’avidité connue des héritiers, qu’un homme pour lequel on dépouille une famille entière de l’hérédité naturelle, et qui devient, par ce bienfait, possesseur exclusif d’un legs de quinze cent mille francs, respecte assez peu la mémoire de son bienfaiteur pour la traîner et la souiller pendant dix ans dans tous les tribunaux d’un royaume ; et cela pour ne pas payer une somme de quinze mille francs à l’acquit de cette succession qui ne lui était pas due.

Passez-nous cette seconde encore ; elle ne sau-