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Ensuite est écrit de la main du comte de la Blache :

« Pour duplicata, dont j’ai l’original en main. À La Roque, ce 31 juillet 1778.

Signé Falcoz, comte de la Blache. »
Avec paraphe.


MÉMOIRE

DE

P.-A. CARON DE BEAUMARCHAIS

En réponse

AU LIBELLE DIFFAMATOIRE SIGNÉ GUILLAUME KORNMAN, DONT PLAINTE EN DIFFAMATION EST RENDUE, AVEC REQUÊTE À M. LE LIEUTENANT CRIMINEL, ET PERMISSION D’INFORMER

PREMIÈRE PARTIE.

Pressé par les circonstances de publier ma justification sur les atrocités qui me sont imputées dans un libelle signé Guillaume Kornman, et depuis avoué de lui, j’ai fait en quatre nuits l’ouvrage de quinze jours.

Dans cette partie de ma défense je n’emploierai pas de longs raisonnements à repousser des injures grossières ; le temps est trop précieux pour le perdre à filer des phrases : j’opposerai des preuves claires et concises à des inculpations vagues et calomnieuses.

Je dois repousser fortement les quatre chefs suivants :

1o D’avoir concouru avec chaleur à faire accorder à une infortunée la liberté conditionnelle d’accoucher ailleurs que dans une maison de force, où elle courait le danger de la vie ;

2o D’avoir examiné sévèrement une grande affaire qui tournait mal, à la sollicitation des personnes les plus considérables, qui avaient intérêt et qualité pour en vouloir être bien instruites ;

3o De m’être opposé, dit-on, par toutes sortes de moyens, au rapprochement de la dame Kornman avec son mari ;

4o Enfin d’avoir ruiné les affaires de celui-ci en le diffamant partout.

Les deux premiers chefs, je les avoue et je m’en honore hautement ; je prouverai que j’ai dû me conduire ainsi. Je nie les deux derniers ; j’ai fait le contraire de l’un, je prouverai la calomnie de l’autre.

faits justificatifs du premier chef.

« Avez-vous concouru avec chaleur à faire accorder à une infortunée la liberté conditionnelle d’accoucher ailleurs que dans une maison de force, où elle courait le danger de la vie ? »

Oui, je l’ai fait ; et voici mes motifs :

Au mois d’octobre 1781, je ne connaissais pas même de vue la dame Kornman ; je savais seulement, comme tout le monde, que son mari l’avait fait mettre dans une maison de force, en vertu d’une lettre de cachet.

Un jour que je dînais chez madame la princesse de Nassau-Sieghen avec plusieurs personnes, on nous peignit la détention et la situation de la dame enfermée avec des couleurs si terribles, que cet événement fixa l’attention de tout le monde. Le prince et la princesse de Nassau surtout paraissaient fort touchés de son malheur, et voulaient s’employer, disaient-ils, à lui faire obtenir sa liberté. Touché moi-même du récit et de cette noble compassion, je les louais de leur dessein ; ils me prièrent d’y joindre mes efforts, ajoutant qu’un tel service était digne de mon courage et de ma sensibilité. Je m’en défendis par des raisons de prudence. Ils me pressèrent ; je résistais en alléguant (ce qui est vrai) que je n’avais jamais fait une action louable et généreuse qu’elle ne m’eût attiré des chagrins. Quelqu’un invite alors un magistrat du parlement, qui était présent, à montrer à la compagnie le mémoire que cette malheureuse femme avait composé seule au fond de sa prison, et qu’elle avait trouvé moyen de faire parvenir à M. le président de Saron, avec autant de lettres qu’il y avait de magistrats à la chambre des vacations. Voici cette requête touchante :

MÉMOIRE

adressé à m. le président de saron par la dame kornman, née Faesch[1]

« Je suis née à Bâle en Suisse ; j’ai été élevée dans la religion protestante réformée.

« À l’âge de treize ans, j’étais orpheline de père et de mère ; à celui de quinze, mes parents m’ont fait épouser, en 1771, le sieur Kornman, Alsacien, et de la religion luthérienne.

« Mon mariage a été célébré dans le canton de Bâle, suivant les lois civiles et ecclésiastiques de cette ville.

« Je ne connaissais pas le sieur Kornman ; je témoignai quelque répugnance ; on m’assura que je serais très-heureuse, que c’était un bon parti ; je me résignai.

« J’ai apporté à mon mari 360,000 livres de dot, qu’il a touchées ; j’ai été avantagée en outre de 60,000 livres. Mon mari s’est obligé encore de faire un état de ses biens, dont la moitié doit m’appartenir, en cas qu’il vienne à mourir.

« Un de mes parents m’a dit, il y a un an, que cette clause n’avait pas été remplie, et m’en a marqué du mécontentement. Mais, comme je ne me connais pas en affaires d’intérêt, j’ai toujours négligé ce point.

« Mon mari m’a proposé de lui faire, par écrit sous seing privé, une donation de tous mes biens ; je lui ai fait cet écrit dans les commencements de notre mariage ; il m’en a fait un pareil, qu’il a retiré sans me rendre le mien ; je l’ai annulé de mon propre mouvement, le 25 juillet dernier.

« Je suis mère de deux enfants, et grosse de quatre mois du troisième. Notre union a été très-mal assortie : j’ai été fort malheureuse ; et j’ai longtemps souffert avec patience et douceur.

  1. La famille Faesch est une des premières de Bâle.