Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/583

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janvier 1777 mon Amphitrite ayant relâché à Lorient, le ministère, à sa sollicitation, fit arrêter ce bâtiment, sous prétexte que plusieurs officiers s’y étaient embarqués pour aller offrir leurs services aux Américains ?

Comment à cette occasioo put-il omettre dans ses dépêches que la cour envoya l’ordre au plus considérable deoes officiers de rejoindre à l’instant son corps à Metz, et d’y rendre compte de sa conduite ; et qu’apprenant que l’officier éludait d’obéir, elle fit dépêcher exprès un courrier à Lorient, avec l’arrêter, de le casser, et de l’enfermer pour le reste de ses jours au château de Nantes, rigueur à laquelle il n’échappa qu’en se sauvant seul et presque nu, sans oser reparaître au vaisseau ; que le ministre ne rendit même à ma frégate la liberté de partir, qu’après avoir exigé du capitaine une soumission positive et par écrit qu’il n’irait qu’à Saint-Domingue, sous toutes les peines qu’il plairait de lui infliger à son retour s’il y manquait ?


Mais une autre réflexion se présente ; et je oedois pas la retenir, puisque l’écrivain du roi d’Angleterre l’a négligée. La cour de France, une puissance étrangère indifférente et neutre, s’opposail au noble emploi que des officiers, la plupart.’Mangers, voulaient l’aire dr leur loisir en laveur des Américains ! Mais que nous importait à nous, pour qui leur bravoure allait s’exercer ? et par quel excès de compta isaace pour l’ambassadeur anglais nos ministres établissaient-ils une telle inquisition contre les partisans de l’Amérique, lorsqu’il est prouvé, par li’l’ait, que le neveu du maréchal de Thomond, demilord Clare, que le comte de Bulkley enfin, le plus ardent Anglais qui ait jamais été souffert au service de France, oblenail d’eux sans peine la permission d’aller solliciter a Londres du service conlre l’Amérique ? Si la solution de ce problème échappe à mes lumières, ee qui frappera tout le monde ainsi que moi, c’est que la comparaison et le rapprochement de ces deux procédés devraient au moins faire trouver grâce à nos très-complaisants ministres devant ce terrible ambassadeur ; et que sou zèle et ses travaux n’eussent pas semble moins importants à sa patrie, et l’eussent également porté lui-même au ministère où il brûlait d’arriver, si, au lieu de calomnier noire cour, il eût rendu compte a la sienne de tout ce qu’il en obtenait journellement.

Quoique la politique au fond ne soit partoul qu’une sublime imposture, on n’a pas encore vu d ambassadeur se donner des licences aussi étendues sur la sublimité de la sienne ! Il était réservé au vicomte de Slormont d’en offrir le digne exemple à l’univers. — Mais c’est la France, dit-il, qui envoyait ces officiera en Amérique. — Eh ! grand pi liticien ou pàl&tàqm « r, y a-t-il beaucoup de raisonneurs de votre force en Angleterre ? et pensez-vous que le congrès, qui n’a pas cru devoir tenir nu seul des engagements pris devant moi par ses agents en Europe avec les officiers que je lui adressais, qui nié me a refusé du service à presque tousen arrivant, eût manqué d’égards à ce point pour notre cour, s’il eût pensé que ces généreux guerriers lui étaient envoyés par un roi dont il sollicitait si vivement le secours el l’amitié ? De quel œil aussi pensez-vous que le roi de France eût vu le renvoi des officiers, si ce prince eût été pour quelque chose en l’arrangement de leur départ ? On se fait donc un grand bonheur de déraisonner à Londres Cette réflexion seule est un trait de lumière qui i — uiel tous dans notre vrai joui’, Anglais, Français, travailleur— el raisonneurs.

A la vérité, mon zèle empresse pour mes nouveaux amis pouvail être blessé du peu d’accueil qu’ils faisaient à de braves gens que j’avais portés moi-même à s’expatrier pour les servir. Mes soins, mes travaux et mes avances étaient immenses à I. Mais je m’en affligeai seulement pour nos malheureux officiels, parce que, dans ces relus mêmes des Américains, je ne sais quelle émulation, quelle fierté républicaine attirait mon cent-, el nie montrait un peuple si ardent à conquérir sa liberté, qu’il craignait de diminuer la gloire du sucées, s’il en laissait partager le péril a des étrangers.

Mon une est ainsi composée : dans les plus grands maux elle cherche avec soin, pour se consoler, le peu île bien qui s’j rencontre. Ainsi, pendant que mes efforts avaienl —i peu de fruit en Amérique, el i|Me les anglais essayaient de toul corrompre autour ’le moi pour l’atténuer encore, de lâches ennemis m’accusaient dans mon paysd’être soudoyé par la cour de Londres pour l’avertir à temps du départ de tous dos vaisseaux de commerce, el la mettre à même de s’en emparer. Et moi, soutenu par ma fierté, je dédaignais de i léfendre, et je livrais ces méchants à leur propre boule, en me promettant lueu île ne jamais souiller mon papier d’leur nom. Les oisifs de Paris enviaient mon bonheur, el me jalousaient comme un favori de la fortune et des puissances : et moi, triste jouet des événements, seul, privé de repos, perdu pour la société, desséché û insomnie et de chagrins, tour à tour exposé aux soupçons, à l’ingratitude, aux anxiétés, aux reproches de la France, de l’Amérique et de l’Angleterre, travaillant nuit el jour, cl courant à mon but avec effort, à travers ces landes epineu-es, je m’exténuais de fatigue, el j’avançais fort peu. Mais mon courage renaissait, quand je pensais qu’un grand peuple allait bientôt offrir une douce et libre retraite à tous les persécutés de l’Europe ; que ma patrie sérail vengée de l’abaissement auquel on l’avait soumise par le traité de 1768 ; que le voile obscur, le crêpe funéraire dont nuire port de Dimkerque elail enveloppé depuis soixante ans, serait enfin déchire ; qu’enfin