Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/646

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Chacun m’écrit : Prenez bien garde à ce qui sort de votre plume ! Défendez-vous, et n’accusez personne ! n’offensez aucun amour-propre, pas même celui de ceux qui vous ont le plus outragé ! Vous n’êtes plus au cours des choses. Songez qu’on a voulu vous perdre, et qu’eussiez-vous • ml fois raison, vous ne pouvez rien obtenir si vous n’êtes très-circonspecl !

que vous avez le poignard sur la gorge, et que tous vos biens sont saisis ! Songez qu’à défaut d’autre crime, on veut vous faire passer pour émigré ! que vous ne dites pas un mot qui ne soit tourné contre vous ! que vous ne faites rien de bien qui n’irrite vos ennemis ! qu’ils sont puissants... et sans pudeur ! Songez que vous avez une fille que vous aimez ! Songez... Oui, j’ai une fille que j’aime. Mais, en la chérissant, je cesserais de l’estimer si je la supposais capable de supporter l’avilissement de son père, et de vouloir que je lui conservasse une fortune qu’on m’envie, et qui fait mon unique tort, au prix d’affaiblir mes défenses en taisant la moitié de ce qui les compose, etde compromettre mon honneur en ménageant des ennemis qui n’ont pas os< m’attaquer tant que je suis reste en France, quoiqu’ils eussent entre leurs munis, depuis six. mois, toutes les pièces sur lesquelles ils ont l’impudence de m’ accuser lorsque je suis absent !

Quoi ! d’injustes ministres ont abusé de mou zèle pour la patrie, et m’ont fait sortir de Fraie e avec port perfide... espérant si bien manœuvrer que je n’y rentrasse jamais ! ou que si j’y rentrais, ce fût chargé de chaînes et couvert de l’opprobre d’avoir desservi mon pays ; accusé de l’avoir trahi ! Et j’affaiblirais mes défenses ! Quoi donc ! d’un pays libre où ils ont du crédit, il envoyé chez un peuple étranger, qui se dit libre aussi, un courrier extraordinaire, pour m’en ramener garrotté, espérant pouvoirs la Haye ce qu’ils n’osent tenter à Londres, quand ils ont eu la lâche négligence d’y laisser échappe) des faussaires, des fabricateurs d’assignats, qu’un homme vigilant y tenait en prison, faute de lui répondre, ou (I v envoyer des courriers, pendant sept ou huit mois ! Moi je garderais le silence ! Quoi ! sur des crimes supposés ils ont voulu me rainer de Hollande pour être égorgé dans In route, ou par des gens payés par eux, i u pat notre peuple abusé, avanl d’arriver aux prisons, où l’on b-i mirait de m’amener pour y produire mes défenses ! VA je tairais, moi, citoyen, tous ces grands abus du pouvoir !

— Oui, mon cher ! il Le faut, ou vous êtes perdu. Mes amis, on a’esl poinl perdu quand on

! Être perdu, ce n’esl pas 

(] i tre tue : c’est de mourir déshonoré ! Pourtant, i ontenl - ! le ne les accuserai poinl sur cette affaire méi onnue, mais qu il de mettre au jour : carj : dois sauver mon hone e’ puis h - empêi lier de consommer la ruine de mon enfant, même d’assassiner son père ’.

Je ne les accuserai point. Jo dirai seulement les faits, les appuyant de piècesinexpugnables, comme je ne cesse de le faire. La Convention nationale, bien supérieure aux petits intérêts de ces individus d’un jour, car elle n’est qu’un grand écho de la volonté générale, qui est d’être juste envers tous ; la Convention discernera sans moi les coupables de l’innocent ! ceux qui ont trahi la nation, de celui qui l’a bien servie ! Alors elle proi lesquels d’eux ou de moi méritent le décret qu’ils ont fait prononcer sur un faux exposé ! Dans quelle affreuse liberté, pire qu’un réel esclavage, serions-nous tombés, mes amis, si l’homme irréprochable devait baisser les yeux devant des coupables puissants, parce qu’ils peuvent i ai < abler ? Quoi donc ! tous les abus des vieilles républiques, nous les éprouverions à la naissam e de la nôtre ! Périssent tous mes biens, périsse ma personne, plutôt que de ramper sous ce despotisme insolent ! Une nation n’est vraiment libre que lorsqu’on n’obéit qu’aux lois. citoyens législateurs ! ce mémoire lu par vous tous, j’irai me mettre en vos prisons ! Tu m’y consoleras, ma fille, comme la jeune et vertueuse Sombreuil, dosant laquelle mou aine se prosternait à l’Abbaye, aux approches du i si ptembre ! J’en suis resté, lecteurs, à la stupéfaction du ministre Lebrun, de me voir dans son beau salon, avec mon air de prisonnier, ma barbe de cinq jours, mes cheveux en désordre, en linge sale, en redingote, entre deux hommes en écharpe... Oui, monsieur, lui dis-je, c’est moi. Victime dévouée, je sors de l’Abbaye, où certains délateurs § connaissez m’ont fait mettre, en criant partout que c’est moi qui méchamment m’oppose à l’arnos fusils. Vous savez trop, monsieur, a qui ■ r •

Un municipal m’interrompt, dit au ministre : «Nous somm -ohm, !,.,, monsieur, parlamunicipalilé, vous demander, d’après les explications de M. Beaumarchais, dont on est satisfait, si vous voulez OU non faire partir à l’instant son courrier pour la Hollande, avec toul ce qu’il faul pour gui nous arrivent. — 11 ne faut, dis-je, aua termes du traité, qu’un cautionnement arrêté trente fois malgré trente promesse : il me faul un passeport, il me Tant gui Iqut s fonds. » Je ironais,i M. Lebrun les yeux un peu fuyards, la parole allongée, et la voix incertaine^ 11 dil à ces m issieurs que.., rien ne... retenait... : qu’en... <~" mont .1 il... n’en pouvait finir... : mais que si ulions... venir demain matin... . ce serait l’affaire... d’une heure.

Qui donc étonnait M. Lebrun ? Était-ce mou cm-