Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/650

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été appelé sans que l’on m’en eût averti. Si mon lecteur n’a pas perdu de vue la petite ruse dont j’usai pour découvrir le véritable objet du retour de l’ambassadeur, il sera frappé comme moi de l’annonce qu’on me faisait du contre-ordre qu’il avait reçu.

Sur la joie que j’avais montrée à la nouvelle de son retour, on paraissait avoir conclu que ce retour pourrait me faire beaucoup plus de bien que de mal ; et ou l’avait contremandé.

Je répondis sur-le-champ à M. Lebrun : d De ma retraite, à une lieue de Paris If étais à cinq, • ’ ;epterabre 1792.

Monsieur,

« De la retraite qui me renferme, je reponds à votre lettre comme je peux et quand je peux : elle i fail vingt détours pour arriver à moi ; je ne la reçois qu’aujourd’hui vendredi, à neul heures du matin. Il est donc impossible que je me rende chez vous avant dix heures. Mais, quand je le pourrai-, c’esl ce que je me carderais bien de faire ; car on me mande de chez moi qu’après le massacre des prisons, le peuple veut aller chez les marchands, chez les gens riches. Il y a une liste de proscriptions immense ; et, grâce aux scélérats qui crient dans les places publiques que c’est moi qui m’opposi à l’arrioét de nos fusils, je suis noté pour être massacré ! Laissons donc partir cette poste de vendredi : comme il faut que les lettres aillent par I Angleterre ou par un bateau frété à Dunkerque pour la //« ;/<’, puisque le Brabanf est fermé, nous regagnerons bien les deux journées que nous perdons.

« Je vous prie donc , monsieur, de changer l’heure de la conférence, de dix heure- du matin en dix heures du soir, pour que je puisse arriver chez von- avec moins de danger de perdre la ne qu’en plein jour.

"Mou zèle pour la chose publique est grand ; ii sans ma vie mon zèle ne sert de rien. Je me rendrai donc, si je puis, ce soir à dix heures chez vous ; -i je ne puis avoir une voiture et ries sûretés pour revenir dans ma retraite, ce ne sera que I r demain au soir. Mais nul temps ne sera perdu, car ce n est pas une lettre de M. de Mauldi qui peul seule finir i affaire : c’esl la présence de M. la Uoyui ou de moi, avec des mesures bien prises ; c’est le cautionnement de cinquante mille florins par If, Du ; i "/, en mon nom, i / des fon ’• pour solder tous les comptes que ces retardsoul occasionnés ; ce sonl ’i passi poi ts tels, que l’on ne soit point arrêté sur la route : el une intelligeni e supi ê n adresse, puisque les moyens de fierté ne peuvent employés, eua qui seyaient si bien à notre nation, offensée p<w l’affreuse conduite des Hollandais ’ m ’ rs moi,, négociant français ! Le temps qu’on a perdu e-i bien irréparable ; mai - partons du poinl où i- sommes. Je gémis depuis bien longtemps de voir crier partout Des armes ! i I d en savoir soixante mille arrêtées en pays étranger par la sottise ou par la malveillance : c’est l’une ou l’autre, ou toutes deux.

o Pardon, monsieur, -i mes réflexions sont sévères : je me les passe d’autant plus librement avec von-, que ce n’esl pas vous qu’elles atteignent. Mais j’ai le cœur navré de toul ce que je vois. « Recevez les salutations respectueuses d’un citoyen bien affligé, el qui le signe. « Signé Beaumarchais, h

P. S. » Ne dédaignez pas, monsieur, de donner un mot de réponse au porteur, par lequel j apprendrai que vous acceptez mes offres et approuvez mes précautions.

« Moi, le plus courageux des hommes, je ne sais pas lutter contre des dangers de ce genre ; et la prudence est la seule force qu’il me soit permis d’employer.

ci SijJUI BeAUJIABCHAIS. n

Ma lettre fui remise ; et le ministre fit répondre verbalemenl par son suisse qu’il m’attt uda samedi, à neuf heures précises du soir. Je calculai qu’il me fallait quatre heures pour me rendre a Paris, à travers les terres labourées. Je partis le 8 de septembre à cinq heures du soir, à pied, de chez mes bonnes gens, qui voulaient me conduire ; ce que je refusai, crainte qu’on ne nous remarquât.

J’arrivai seul, mes forces épuisées, traversé de sueur, avec ma barbe de cinq jours, mon linge sale, i ii redingote (comme à ma sortie de prison) ; j’étais à neuf heures précises à la porte de M. Lebrun. Le suisse me dit que le ministre, ayant affaire en cemoment, me remettait a onze heures, ce soir, ou demain malin, à mon choix. Je priai le suisse de lui dire que je reviendrais à onze heures, n’osant pas me montrer le jour. Je ne pouvais attendre chez le minisire : quelqu’un pouvait m’y voir, puis ébruiter mon retour ; j’en sortis.

Mais où aller ? que faire en attendant ce rendez-vous ?

La crainte d’être rencontré par quelque 

patrouille incendiaire me lit résoudre à me cacher sur le boulevard, entre des las de pierres el de n lions, où je m’assis par terre. Je m’admirais dans cel asile, OÙ la fatigue m’endermil ; et. -ans un tapage qui se tit assez prés de moi vers onze heure-, on m’ aurai ! trouvé le lendemain matin. .l’entendis sonner l’heure, et je m’acheminai aux affaires étrangères... Dieu ! jugez de ma douleur quand le suisse me dit que le ministre imi’ couché ; qu’il m’attendrait le lendemain, à neuf heures du mutin ! c Vous ne lui avez donc pas dit... -Pardonnez-moi, monsieur, je lui ai dit... — Donnez-moi vite du papier. > J’écrivis celle courte lettre, en dévorant ma frénésie :