Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/745

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ait lieu, selon lui, de délibérer même sur ces édits quoique les édits en laissent la liberté.

Mais l’affliction générale porte moins sur l’avis en lui-même que sur l’inquiétude de savoir si cet avis tranchant vient de Monsieur ou des ministres, ou, ce qui serait plus affligeant encore, du roi lui-même, qui jusqu’à présent s’est fait connaître par tant de bienfaisance et de bontés.

L’avis de M. le duc d’Orléans a, dit-on, été mou, inutile, et comme nul.

Celui qui a prévalu, motivé fortement, plein de respect pour le roi, d’amour pour le bien public, fort sage et tendant à la paix, à la conciliation des esprits, a fait d’autant plus de plaisir qu’il a été ouvert par M. le prince de Conti, dont beaucoup de gens affectaient de craindre la chaleur, la franchise et la fermeté gauloises.

En mon particulier, je suis fort aise que l’affaire se traite devant les princes frères du roi. D’aussi grands intérêts ne peuvent avoir des opinants trop illustres ; et les petites cabales qui prévalent souvent dans des comités particuliers, dans des examens de commissaires, s’évanouissent toujours dans une assemblée auguste, où chacun, forcé de se respecter, respecte au moins l’opinion publique.

L’archevêque a été hué en entrant et en sortant du Palais ; je n’en suis pas surpris : il court des bruits de refus d’absolutions, de sacrements, qui semblent dévoiler l’intention de fomenter de nouveaux troubles. Mais le parlement est résolu de ne donner dans aucun de ces piéges, et de toujours recourir au roi, pour savoir ses volontés, à chaque nouvelle qu’il recevra d’une hostilité ecclésiastique ou jésuitique.

Un barnabite, avant-hier, vit arriver à son confessionnal une femme inconnue, qui lui dit : « Je viens à vous, parce que mon confesseur, vicaire de telle paroisse, en m’ouvrant sa grille ce matin, m’a demandé pour première question : Vous êtes-vous bien réjouie, madame, du retour du parlement ? — Oui, mon père, comme tous les bons Français. — Je ne puis pas vous entendre, a été la réponse du prêtre, qui m’a refermé sa grille au nez. »

Toutes ces choses montrent une fermentation excessive et dangereuse dans le corps du clergé, relativement à la besogne actuelle. Votre, etc.

LETTRE XIV.

à m. de miroménil, garde des sceaux.

De la loge de votre suisse, ce 15 novembre 1775.

Monseigneur,

Je me suis échappé de mon lit, malgré la fièvre et le médecin, pour venir vous dire : Me voilà. Peu de temps après que je fus tombé de l’état de citoyen, vous êtes monté à celui de garde des sceaux. Mais la même justice qui vous a tiré de l’infortune doit être employée aujourd’hui, dans vos mains, à me rendre au droit que j’avais de revenir contre un arrêt si ridicule, qu’on ne sait quel nom lui donner.

J’ignore, monseigneur, vu les affaires, les procès et la fièvre, si je partirai pour Londres, pour Aix, ou pour l’autre monde : tout ce que je sais, c’est que j’ai bien peu de temps à rester à Paris. Le roi, touché du tort moral que fait à mon existence le retard de ces terribles lettres de relief après lesquelles je cours depuis si longtemps, a bien voulu que vous sussiez enfin que si j’ai perdu le temps de me pourvoir dans les six mois prescrits par la loi, c’est que j’étais hors de France par les ordres exprès de Sa Majesté.

Mon affaire n’étant point d’audience, et ne devant vous occuper que l’instant de raisonner avec M. Dablois, mon rapporteur, sur les moyens d’arranger la justice du fond avec ce que les formes ont d’épineux, je vous supplie, monseigneur, de vouloir bien me donner un ordre précis pour me rendre chez vous. Je sortirai une autre fois de mon lit, et je viendrai avec une reconnaissance anticipée vous assurer du très-profoud respect avec lequel je suis,

Monseigneur,

Votre, etc.

LETTRE XV.

AU MINISTRE DE LA MARINE

M. DE SARTINES

Pour vous seul.

Londres, ce 14 janvier 1776.

Je profite du courrier que j’envoie à M. de Vergennes, pour vous prévenir que, si mes lumières acquises ne me trompent pas aujourd’hui, tout cela a des branches qui vont si haut, qu’il y a peut-être autant de danger d’agir d’un côté qu’il y a d’inconvénients à laisser faire de l’autre.

Cette réflexion de profonde politique est pour vous seul. Je prendrai de telles précautions, que toute idée relative à vous sera écartée à mille lieues ; et même, s’il est possible, toutes celles relatives à moi et aux soins que je me donne. Au reste, si vous n’aviez pas fait approuver l’arrangement de précaution que je viens d’établir pour l’avenir, je ne voudrais pour rien au monde me mêler davantage de cette besogne : ceci me paraît être l’arbre et l’écorce de Platon, entre lesquels l’homme prudent ne doit pas mettre le doigt. Allez dans vos idées aussi loin que vous voudrez, sans craindre d’aller trop loin, et vous approcherez du but.

Au fait, en vérité, l’on ne veut que brouiller, et profiter de la division pour s’emparer du roi ; abus vous seriez certainement perdu. Voilà ce qui a rapport à vous, et me touche infiniment. Quant à moi, je ne suis rien ; mais je m’arrange pour que l’avenir ne soit plus sur mon compte aux yeux des mé-