Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/789

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tructif de la France, et le seul qu’on pût assimiler au Spectateur du célèbre Addison (l’Historien[1]), on se donne le titre de Bien-Informé, l’on ne doit pas laisser charger sa feuille, sur quelques points qui intéressent le public, du ramassis des platitudes que l’ignorance débite dans les rues.

Les accidents, quels qu’ils puissent être, que vous imputez à la compagnie des eaux de Paris, laquelle depuis longtemps n’existe plus, et qui, lorsque ses établissements étaient dirigés par les frères Perrier, n’avait fait au public aucune des absurdes promesses dont votre commis l’informeur (on ne peut plus mal informé) nous informe par vous, d’un ton qui n’était pas celui de votre prédécesseur : ces accidents, dis-je, ne la concernent point.

Cette compagnie s’honorait d’avoir surpassé les Anglais dans l’art de répandre à grands flots, par les machines à feu et des conduites combinées, tant de fer fondu que de bois, dans tous les quartiers de Paris, l’eau si indispensable à la salubrité de l’air, à la propreté des maisons, à la commodité des habitants d’une cité immense ; elle avait réussi à la faire aborder partout, au quart moins de frais pour chacun que le peu qu’on en obtenait par les porteurs d’eau à bretelles. Ceci n’est point un texte à des bouffonneries.

Les désordres occasionnés par les temps révolutionnaires ont détruit cette compagnie, et suspendu plusieurs années le beau service des machines. Pendant ce temps, plus de quarante mille toises de tuyaux se sont desséchés et fendus. Le département de Paris s’occupe aujourd’hui du soin de les réparer à grands frais. Telle est la cause malheureuse de plusieurs accidents possibles, lesquels ne devaient pas fournir l’idée d’un article aussi pitoyablement fait que le remplissage inséré contre la compagnie Perrier dans une feuille à laquelle vous prétendez donner quelque réputation. Ce n’est point là le ton qu’un bon journaliste doit prendre, s’il ne veut être rejeté dans la classe des regrattiers compositeurs de feuilles peu décentes dont nous sommes très-dégoûtés.

Cette lettre est d’un homme qui respectait le citoyen Dupont, et voudrait estimer son continuateur.

Caron Beaumarchais, l’un des premiers actionnaires de l’utile entreprise des eaux, et votre abonné.

LETTRE LI.

À M. D*** (DES VOSGES).

Ce 1er pluviôse an VI (20 janvier 1798).

Je n’ai pas voulu, citoyen, vous remercier plus tôt du présent que vous m’avez fait de votre beau discours, l’entraînement de votre style à la première lecture avant fait naître en moi le désir le plus vif de le relire lentement : ce que je ne nommerai pas une relute, mot impropre et barbare qui se glisse dans le français, sans qu’on puisse deviner ce qui l’a pu faire adopter comme tant d’autres qui corrompent la première langue de l’Europe.

Votre discours est purement écrit, plein de traits brillants, de vues, de connaissances approfondies sur les véritables intérêts qui militent pour ou contre cet accroissement de puissance. Mais la partie politique n’est point celle dont je veux vous entretenir aujourd’hui : son vrai mérite littéraire est ce qu’il nous convient de traiter entre nous deux hommes de lettres, dont l’un commence sa carrière, quand l’autre touche à la fin de la sienne.

Votre discours a l'éclat oratoire qui l’eût rendu très entraînant à la première des tribunes, et qui me l’a fait dévorer. Si, pour m’acquitter envers vous du plaisir qu’il m’a fait, vous me permettez quelques observations qui ne doivent qu’être agréables à un homme d’un grand talent, je vous dirai que cet éclat, ce mérite qui vous honore, est pourtant le moindre de ceux qui m’ont frappé dans votre ouvrage.

De cela seul que vous l’avez nommé discours, je vois que, pour le rendre plus rapide et brillant, vous avez jeté dans vos notes une foule de choses fortes qui, répandues dans le corps de l’ouvrage, lui eussent mérité ce nom d’ouvrage bien préférable au but que vous avez rempli, celui de donner une haute idée de votre talent oratoire, quand vous pouviez cliver ce discours à l’honneur d’être regardé comme un ouvrage aussi instructif que profond, en faisant seulement rentrer vos belles notes dans le texte. Et ne croyez pas, écrivain, que vous l’eussiez rendu par là plus languissant ; elles auraient nourri, varié les idées que vous présentez comme vôtres ; elles auraient porté jusqu’à la conviction les choses dont vous voulez persuader vos lecteurs, en y joignant l’autorité de tant d’écrivains respectés, dont vous vous appuyez vous-même.

En général, je ne suis point l’ami des notes étendues et très-multipliées ; c’est un ouvrage dans un ouvrage, qui les amoindrit tous les deux. L’un des secrets de l’art d’écrire, en matière sérieuse surtout, est, selon moi, le beau talent de réunir dans le sujet qu’on traite tout ce qui tend à renforcer sa consistance ; l’isolation des notes en affaiblit l’effet.

Enfin, pour terminer ce radotage d’un vieillard à qui votre discours a donné de l’estime pour vous, je vous dirai que cette estime a beaucoup augmenté en voyant dans vos notes avec quel soin vous avez étudié, dans toutes les langues de l’Europe, les grands auteurs qui ont traité les mêmes sujets avant vous. J’aime, dans un homme de votre âge, cette preuve donnée du soin qu’il a pris de s’instruire avant de parler au public. Et ma re-

  1. Par M. Dupont de Nemours.