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JEAN BÊTE À LA FOIRE, SCÈNE VIII.

CASSANDRE.

Du côté des hommes ou des femmes ?

JEAN BÊTE.

De tous les côtés, monsieur, de tous les côtés.

CASSANDRE.

Mais était-il votre grand-père paternel ?

JEAN BÊTE.

Certainement, monsieur, mon grand-père paternel, maternel, fraternel, tanternel, sempiternel : il fut ce fameux Jean Broche, qui fourrait z’un fer rouge dans le cul des passants, sur le Pont-Neuf, pendant le grand hiver. Ceux qui ne s’en souciaient pas lui payaient z’au moins le charbon ; ce qui fit sa fortune en peu de temps : son fils devint secrétaire du roi, langueyeur de porc, monsieur ; son petit fils, maître des raquettes, intendant, et est z’aujourd’hui conseiller rapporteur en la cour, qu’est mon cousin Lalure .... Il n’y a pas longtemps qu’ils sont morts z’à Beaune, où z’une branche de messieurs Jean Bête, qui z’y fleurit beaucoup, leur fait faire tous les ans un beau service avec un cataplasme magnifique, ousqu’on y débite un discours superbe et catalogue au sujet : v’là, monsieur, quelle est ma postérité.

ISABELLE se met à genoux.

Mon ch’père, je me jette à vos jambes : permettez que j’entre aussi dans la famille des Jean Broche. Je ne savais pas que mon cher z’amant fût Jean Broche par le côté des femmes, mais je m’en suis toujours douté à ses bonnes façons.

CASSANDRE.

Monsieur, monsieur, z’en ce cas-là c’est une grande différence. Vous parlez des bonhommes Cassandre. Où est-ce qu’il y a z’une famille aussi z’étendue que messieurs Jean Bête ? C’est bien d’eux qu’on peut dire qu’il n’y a pas d’état ni de grade dans le monde, où ils ne remplissent les premières places ; mais il y avait longtemps que rencontrer un des messieurs Jean Bête, qui eût la bonne foi de porter son véritable nom, sans avoir jamais pu y réussir. Z’on a beau les reconnaître partout ; ils aiment mieux se faire passer pour conseillers gobe-mouches, insipides savants, ignorants sorboniqueurs, fades poëtereaux, forfantiers militaires, financiers lourdets et faquinets courtisans, que de dire tout uniment, comme vous : Messieurs, je m’appelle Jean Bête, fils de Jean Broche, petit-fils de Jean Fonce, etc. Ah ! monsieur, z’en faveur d’une pareille sincérité, je me fais un honneur infini de vous donner ma fille

Approchez, mes enfants. Je n’ai pas t’une pièce de douze sous à vous donner ; mais ma bénédiction ne vous manquera non plus que l’eau du puits. Ma fille, voilà monsieur Jean Bète que je vous mets dans la main : usez-en maintenant comme des choux de votre jardin : et vous, monsieur Jean Bête, voilà ma fille que je vous accorde : la voulez-vous pour votre femme naturelle ?

JEAN bête met un genou en terre devant Isabelle sans parler.

CASSANDRE.

Vous ne répondez pas ?

jean bête serre Isabelle dans ses bras sans se lever. Monsieur Cassandre, qui consent ne dit mot.

CASSANDRE.

Je ne veux pas t’en entendre davantage, mon gendre ; et qui comprend z’est heureux. Vous larme d’une seule parole ;et, puisque le ? mariages sont /.’écrits au ciel, comme je le vois par tout ce qui m’arrive aujourd’hui, je n’ai rien de plus pressé que de vous faire z’épouser bien vite, l’un et l’autre, devant z’ou derrière le chœur de l’église, comme vous voudrez. Queu quantième avons-nous aujourd’hui. Gilles ? GILLES.

Je n’en sais rien, monsieur Cassandre ; mais il n’yaqu’à compter : c’était vendredi le ("dimanche du mois ; jeudi prochain, c’est le mardi gras : il est bien aisé t’a c’t'heure.

CASSANDRE.

Ah ! je me reconnais : nous tenons (’aujourd’hui le trente-quatre, fête de saint Charles et z’un jour trop z’agréable dans le canton, pour que nous ne l’employions pas t’a nous réjouir comme les autres.

ISABELLE.

Et de quoi guérit-il, saint Charles ? Saint Roch z’est pour la rage, saint Hubert pour la peste, saint François z’a t’un cordon assez méritoire chacun z’a son petit district. Qu’est-ce qu’il z’a fait, saint Charles, mon ch’père ?

CASSANDRE.

Ce qui z’était ?eh ! pardienne, Ces donc sourde ? est-ce que tu ne les entends pas tous crier ? s’t'ici : Z’il a sauve not’ père ! s’t'ilà : Z’il a marié note fille ! s’t'autre : Il fait subsister not’ maison ! ’lance coin-ci : J’équions ruinés sans lui ! dans ce coinlà : z’il est le soutien des familles ! un peu plus loin : Z’il est le père des pauvres ! et tretous ensemble : Puisse-t-il vivre encore cent ans ! (// crie en se bouchant les oreilles :} Eh ! messieurs ! messieurs ! je vous crois, je le désire aussi ; mais vous nous gueulez tous aux oreilles, que c’est un train z’à rendre les gens sourds.

ISABELLE.

Où voyez-vous donc tout ça, mon ch’père ? il n’y a personne ici : est-ce qu’il devient imbécile donc ?

JEAN BÈTE.

Tout ce qu’il z’a dit z’est vrai, ma chère Zirzabelle, excepté qu’il az’orné la fin de son discours d’une image d’théorique. Monsieur votre père est z’un Cicéron qui z’a toujours brillé dans le style ratoire.