Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/825

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bien que vous m’avez assez mis le feu sous le ventre à ce sujet ; mais tenez, il me siérait mal de faire la petite bouche z’avec vous : t’aussi vous avouerai-je naturellement que ce n’est pas tant la chose que la manière qui m’effraye ; z’une fille bien élevée comme moi, et qui, sans trop de prévatisation, passe t’avec justice pour la plus vertueuse des environs de Montfaucon, d’où nous sommes nés natifs moi z’et vous, ne doit-elle pas s’observer plus qu’une autre ?

LÉANDRE. J’en conviens, mon aimable z’Izabelle ; mais notre mariage réparerait la brèche qui pourrait z’avoir

ISABELLE. Ah ! pardine ! vous ne m’en coulez pas mal, z’et voilà t’en effet z’une belle chose que le mariage pour réparer le tort fait à l’honneur des filles ! Z’encore une fois, cher Liandre, je vous le répète, les coups que j’appréhende le plus de recevoir du public sont les ceux de la langue ; je me moque du reste : arrangez-vous là-dessus. Partant, que mon pauvre honneur soit à couvert, je n’en demande pas davantage ; et, si vous trouviez quelque comment pour qu’il ne parût pas que j’y consentisse, je veux que trente mille diables me tordent le cou si je ne me laissions t’enlever par vous, toute brandie, vingt fois pour une.

LÉANDRE. Ah ! ma délicieuse, si nous ne sommes plus t’en dispute que sur la magnière, sous vingt-quatre heures vous êtes t’à moi… Comptez qu’une façon ne m’a jamais t’effrayé, et qu’aidé de l’intelligence d’Arlequin, j’enlèverais la sultane favorite du grand Monomotapa z’à la barbe de tous les Constantinopolitains et de leurs janissaires.

SCÈNE IV

ISABELLE, LEANDRE, ARLEQUIN. ARLEQUIN, tout essoufflé. Gare les bœufs, monsieur, le Darou z’est au bout de la ruelle, et Gilles le suit, chargé comme une bourrique, mam’zelle.

ISABELLE, d’un air tendre. Retirez-vous, cher z’amant.

LÉANDRE, lui baisant la main. Ah ! charmante z’Isabelle, quand ne me tiendrezvousplus t’un si cruel discours ? (Elle rentre.)

SCÈNE V LEANDRE, ARLEQUIN. ARLEQUIN. De mon métier, je ne suis guère t’homme à m’embarrasser des affaires des autres t’a moins que je ne croie y trouver mon profit, ceci soit dit sans vous déplaire, mon cher maître ; cependant je serais fort curieux de savoir ce que ce benêt de Gilles porte avec tant de peine, et qui semble rendre le bonhomme Cassandre si gai ; mais les voici, cachons-nous t’et z’écoutons, peut-être quelque mot de leur conversation nous mettra-t-il z’au fait.

SCÈNE VI LÉANDRE, ARLEQUIN, cachés ; CASSANDRE, GILLES, chargé d’une valise qui paraît très-lourde.

CASSANDRE, s’arrêtant tout court. Gilles !

GILLES. Monsieur !

CASSANDRE. Mets bas.

GILLES. Comment, que je mette bas ? Et pour qui me prenez-vous donc ? Est-ce que j’ai la mine d’une jument poulinière ou de quelques autres semblables bêtes, monsieur Cassandre ?

CASSANDRE. Eh ! non, je veux tout seulement te dire que tu te débarrasses de cette valise t’afin que je puisse causer t’ici sans témoin z’avec toi z’avant que de rentrer z’au logis.

GILLES, mettant la valise à terre. Je n’approuve point du tout cette causerie-là, moi, parce que votre chienne de valise t’est si lourde que j’ai grandement besoin de boire z’un coup.

CASSANDRE. Va, va, cela ne tardera pas et je serai court.

GILLES. Ah ! la chose ne vous sera pas difficile, monsieur, tant mieux, voilà ce que j’aime, moi, et je ne suis point de l’avis de feu madame Cassandre qui ne cessait de vous chicaner là-dessus.

CASSANDRE. Eh ! mon pauvre Gilles, laissons les morts t’en paix.

CASSANDRE. Je n’ignore pas ton attachement pour moi, aussi vais-je te donner…

GILLES, tendant la main. Ah ! monsieur…

CASSANDRE, continuant. Une preuve de ma confiance.

CASSANDRE. Cette valise que tu trouves si pesante doit l’être z’en effet, puisque, outre quelques nippes, elle renferme vingt mille écus qui m’appartiennent.

GILLES. Vingt mille écus, monsieur Cassandre. Eh ! mais, sans trop de curiosité, est-ce que vous auriez volé un coche ?…