Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/852

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hommes qu’avec leur caractère. Voilà donc la tâche que je me suis imposée. Mais un particulier sans mission est souvent obligé de deviner ce qui fait mouvoir les machines d’un théâtre dont il ne voit que la décoration : il peut errer plus facilement que celui qu’une instruction perpétuelle met au fait des motifs. Cette raison aurait dû m’empêcher de donner le titre et la forme de mémoire à des observations où la première liaison nécessaire manque souvent. Mais on me l’a ordonné, et l’homme qui se dévoue doit servir ses maîtres a leur manière. Je demande grâce sur le style, parce qu’il s’agit moins ici de ma manière de dire que de ma façon de voir.

Le pacte de famille, ayant changé une partiedu système de l’Europe, a semblé mettre beaucoup de poiils dans la balance de la France, et l’union intime de deux puissances formidables n’a pas laissé que d’inquiéter les Anglais. Malgré leur air d’assurance, ils ont redoublé d’ell’orts pour se faire un appui certain de toutes les puissances du Nord. Aussi l’on peut diviser l’Europe en deux parts et regarder Vienne, Paris et.Madrid comme étant en opposition avec Londres, Berlin et Pétersbourg. Mais les politiques éclaires voient facilement que l’union de la France avec l’Autriche ne peut avoir une véritable consistance, et ceux qui connaissent bien l’Espagne savent assez quel peu de fonds on doit taire sur des secours réels de sa part. Ainsi dans une occasion pressée la France doit craindre de rester seule In rée à ses propres forces, pendant que l’Angleterre, la Prusse et la Russie feront des efforts nbinés très-réels contre elle. Voilà le tableau général : niais dans cet état des choses, et en suivant le véritable esprit du pacte de famille, il convient de tirer le meilleur parti possible de notre alliée l’Espagne, soit en l’employant utilement, suit en en taisant au moins uu épouvantail.

Cette nécessité admise, les intérêts de la France me paraissent porter sur deux fondements en Espagne, dont ou ne doit [dus s’écarter : 1° d’augmenter à toutes voies l’union politique des deux puissances ; 2° de donner au conseil de France le plus d’ascendant qu’on peut sur celui d’Espagne. Le lien politique ne pourrait que se serrer, si l’on fournissait à l’Espagne une occasion toujours prochaine d’entrer en querelle personnelle avec les Anglais. El c’est ce que l’auteur du pacte de famille a très-bien aperçu lorsque, dans le traité de Fontainebleau, il a donné à l’Espagne, en échange de la Floride cédée aux Anglais, la partie de la Louisiane baignée à l’orient par le Mississipi : province détachée, de peu de valeur pour la France et vrai flambeau de désunion entre des rivaux aussi combustibles que les Anglais et les Français. Je regarde donc comme le trait le plus délié de la politique du ministre de France d’avoir par celte cession mis en quelque façon aux POLITIQUE ET ECONOMIE POLITIQUE.


ilà doue la lâche i prises les Espa particulier nols et les Anglais. Ces deux puissances, dont les possessions étaient très-distantes, ne pouvaient guèn se brouiller que relativement aux querelles des Français ; niais aujourd’hui que les Anglais gênent les retours de toul le golfe du Mexique, el bloquenl en quelque façon la Havane parla possession de la Floride qui les rend maîtres absolus du canal de Bahama : aujourd’hui que ces hardis marins ont enfin acquis la liberté de la navigation du polie, à cause de la Mobile et Pensacola qui leur appartient ; aujourd’hui que le voisinage des deux Louisianes anglaise et espagnole favorise d’une part le commerce d’interlope, et que le projet de franchise du port de P tend à diminuer perpétuellement les revenus que les Espagnols tiraient <f> Indes Occidentales, la France me parait avoir acquis tontes les sûretés possibles que l’Espagne aura toujours, outre sa liaison avec nous, plus de sujets qu’elle n’en voudra d entrer pour son propre compte en querelle avec le— Anglais : ce qui resserre nécessairement le nœud politiq [ui la lie à la France. Je dis le nœud politique, car c’est toujours relativement à troisième que deux puissances s’unissent ; tout autre projet d’union qui porterait sur des objets personnels à chaque confédéré comme cullivation, manufactures, commerce, etc., serait illusoire, et irait diamétralement contre le but de l’association politique, qui est de garantir s i hacuii, par la réunion des deux forces combinées, ce qu’il possède contre les efforts d’un tiers ou même de s’agrandir à ses dépens. Le traité de Fontainebleau a donc mis l’Espagne dans la position la plus avantageuse pour nous, au regard des Anglais. La seconde base du système actuel est, comme je l’ai dit, d’augmenter tant qu’on pourra l’ascendant du conseil de France sur celui d’Espagne. Mais j’avais eu d’abord une grande difficulté, c’est la haine naturelle que le peuple espagnol nous porte, soit en rais le son infériorité en tout genre, soit à cause du profond mépris que les Français ont toujours ouvertement affecté pour les usages espagnols ; or la haine qui acquitte le mépris est longtemps invincible, el tout ce qui compose les conseils d’Espagne esl absolument peuple en cette partie.

Il est certain que tout le génie du ministre de France n’a pu encore assujettir que celui d’un « les ministres que nous avons vu ambassadeur à Paris. Le l’esté de la nation est partie indignée de se voir mêlée dans la querelle des Français qu’elle déleste, et partie livrée à la cabale italienne qui fail les plus grands efforts pour arracher l’Espagne a la France afin de la dominer seule. La famille royale est entourée, et les conseils sont pleins de gensqui fomentent et nourrissent cette aversion. On ne voit à Madrid dans la liaison île la France que la houle de la campagne de Portugal qui a dévoilé la turpitude espagnole, celle de la perte