Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/855

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le roi trouvait plus de raisons pour éluder ce moment, qu’il n’avait mis de soin à le faire naître et, le danger une fois passé, il semblait ne sortir d’une espèce de suffocation que pour passer à une profonde tristesse. Tous ces symptômes d'une grande passion, aussi bien jugés par son favori que par moi, nous déterminèrent à saisir le premier ordre qu’il donnerait de parler de sa part, pour l’apporter sur-le-champ sans lui donner le temps de se rétracter, ce qui arriva bientôt : mais alors je fis refuser tout net par la dame de répondre à ce désir, afin que le roi s’occupât plus de nos refus que de son irrésolution, et que sa passion augmentât par la difficulté de la satisfaire, ce qui n’a pas manqué d’arriver. C’est là le point d’où il est parti pour imaginer et faire donner à sa belle le conseil de se faire recommander par le roi de France, car cette dame n’est autre que madame la marquise

      • ; ensuite, pour commencer à la toucher,

le roi a décidé tout seul, au grand étonnement des ministres, une commanderie de Saint-Jacques pour son mari, et lui a assigné une pension, outre une croix de diamants magnifiques qu’il lui a fait donner par son frère, l’infant don Louis, que lui-même avait désigné pour être parrain du marquis. Lors de sa réception, la lenteur des recommandations attendues de France l’ont impatienté cent fois, et surtout celle des longues formalités qu’elles devaient avoir pour arriver ministériellement jusqu’à lui, quoiqu’il sût par son favori qu’on avait travaillé efficacement en France pour les obtenir. En dernier lieu encore, pour attirer cette dame au palais et avoir de plus fréquentes occasions de la voir, ne pouvant créer de nouvelles dames d’honneur pour sa bru, parce qu’il y en a déjà une infinité sous la remise, il a pensé à lui faire proposer par Piny de demander les honneurs du palais et une pension, sans assujettissement au service. L’affaire en était là lorsque je suis parti pour revenir en France ; je la laissai irrésolue de se livrer aux vues que je lui avais inspirées, jusqu’à ce que je pusse l’assurer de Paris que sa partie se lierait quand elle voudrait avec M. le duc de Choiseul.

ESSAIS

MANUFACTURES D’ESPAGNE’

Vous m’ordonnez, madame, de jeter sur le papier tout ce que je pourrai me rappeler de notre i . Cet Essai n’est pas le seul du même genre, dans les manoserits du Théâtre-Français ; mais il est le plus curieux. On j verra, comme il le dit lui-même dans une lettre de ce temps-là, avec » quelle facilité de conception » il s’assimilait tout, et se mettait à même de parlerde tout. Sur la marge, il a écrit cette note : « En 176’», M. de Grimaldi , ministre d’Espagne, content de mon mémoire sur la conversation d’hier au soir. J’obéis : mais je vous préviens d’avance que si vous désirez l’aire quelque usage de ces débris, vous en serez forl met ontente lorsqu’ils ne seront plus échauffés par le feu du dialogue. Je ne puis que tracer froidement des idée-, sérieuses dont le fond vous appartient presq a entier, et que vous reconnaîtrez à peine, dépouillées de ce sel et de cet agrément que -vous y répandiez vous-même par la rapidité de vos répliques et la justesse de vos réflexions. Mais je "is déjà votre modestie s’offenser et repousser les dures vérités que je viens de lui dire. Dans la crainte de vous déplaire davantage, je me presse d’entrer en matière.

ESSAIS SUR L’ESPAGNE.

Article I er . — Il n’y a pas un homme raisonnable, lorsqu’il voyage en Espagne, lorsqu’il s’applique à connaître le pays, se- productions, le génie de ses habitants, qui ne tombe dans le plus grand étonnement de voir les Espagnols dans l’éternelle dépendance de leurs voisins, avec autant de moyens naturels de les y tenir eux-mêmes, ou tout au moins de se mettre au pair.

On sent assez que par le mot de dépendance je n’entends pas parler de cette servitude ou vassalité qui choque si fort l’amour-propre des peuples qui y sont réduits, mais d’une dépendance moins sentie qu’elle n’est réelle et qui sort de ces premiers principes de saine politique : 1° que toute nation qui paye les demies et surtout les choses de main-d’œuvre d’une autre, à prix d’or ou matière précieuse, est dans la dépendance de celle qui les lui fournit ; 2° que le peuple qui troque ses denrées et ouvrages contre ceux de ses voisins, sans bourse délier, est au point d’égalité avec eux. Ils sont dans une dépendance réciproque. Art. 2. — Or, on ne peut pas se dissimuler que l’Espagne ne soit dans le premier de ces deux cas, à l’égard de tout le monde. Les Français, par leurs étolfes, leurs modes, leurs bijoux ; les Anglais, par leurs draps, leurs blés, leur poisson salé, leur horlogerie et autres ouvrages métalliques ; les Hollandais, par I’affluence des marchandises de tous les pays du monde, dont ils sont les courtiers, asservissent l’Espagne. El ce royaume fournit aujourd’hui la preuve la plus complète que c’est moins la bonté, la quantité des matières premières, l’abondance inépuisable des mines d’or et de diamants qui fait la richesse d’un pays, que l’industrie, l’agriculture et le commerce de ses habitants.

Louisiane, me pria île faire un petit voyage aux diverses manufactures de soie, de laine et d’étoffes, qui languissent eu Espagne, et de jeter mes idées sur le papier, pour être ensuit.- traduites en espagnol, si le roi les approuvait. A mon retour, je fis ce mémoire, dont le roi a gardé la minute française, en envoyant la traduction espagnole au conseil d’Hacienda. » Ed. F.