Page:Beaume - Le château vert, 1935.pdf/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
115
le château vert

trop. Elle enveloppa sa tête, les cheveux et la nuque, à la mode agathoise, d’un foulard noir, chaussa ses forts souliers, et s’en alla vers la ville. Par le même sentier que Micquemic avait suivi la veille, elle longea le bas de la colline, passa sur le bord de l’étang de Luno, où dans la brousse des ajoncs et des nénuphars demeurait enfoui le cadavre.

En ville, sur les quais, à la Marine, dans les cabarets, où Micquemic avait l’habitude de traînailler son oisiveté tantôt geignarde, tantôt rieuse, personne ne put fournir sur lui le moindre renseignement. Au Cabaret Catalan, pourtant, des pêcheurs se souvinrent que, la veille, Micquemic était parti pour la baraque de bois assez content, une bouteille entre les bras.

Julia ne manqua point de le chercher dans les trois églises, dans des auberges, à l’hospice, ni enfin de monter à la Mairie formuler une plainte. Micquemic s’était-il donc évanoui subitement, sans laisser sur la terre aucune trace ? Julia réintégra son logis vers le soir, fourbue, l’âme pleine d’angoisse. Le lendemain, livrée à son ignorance, elle ne sut qu’entreprendre. Elle mangea du pain, son dernier pain, vida sa bouteille, et, tout en pleurs, elle s’endormit sur la pierre de l’âtre.

Puis, le lendemain, qui était le samedi, la tempête souffla pendant la matinée. Julia ne sortit donc que vers trois heures de l’après-midi, quand la mer, sous le baiser du soleil, se fut assoupie. Mais où aller ? La ville était loin. Julia n’y espérait plus de consolation. Elle se dirigea par la plage vers le Grau, vers le Château Vert, qui lui avait toujours manifesté de la bienfaisance.

Au Château, tout le personnel s’affolait en des préparatifs de grande bataille. Une noce de quarante couverts ne s’annonçait-elle pas à l’improviste pour le dîner de ce soir même. On tuait des poules, des lapins et des canards : on ouvrait des boites de conserves, des huîtres, on tournait de la rémoulade, on exhibait des buffets les plus belles argenteries et le linge le plus fin ; on était allé à Agde se procurer du pain, des gâteaux et des fleurs. Mme Jalade s’agitait en fièvre de-ci, de-là, distribuant des ordres, morigénant l’un, puis l’autre des serviteurs, même sa Thérèse, qui semblait aujourd’hui ne rien comprendre aux intérêts de l’hôtel, surtout son mari, qui voyageait toujours dans la lune.