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le château vert

l’église, longeait le trottoir de la vieille rue de l’Hérault, lorsqu’elle entendit un marchand de casquettes et bérets, nommé Golze, à tournure de maquignon gras, trapu, qui jamais n’avait pu joindre les deux bouts, proférer à haute voix, depuis le seuil de sa porte, à sa femme qui besognait dans l’intérieur de la boutique :

— Voilà la fille du voleur ! Quel orgueil ! On dirait une reine, parce qu’elle se marie avec le fils d’un négociant en vins !

Mariette, à ces mots, eut un frisson d’épouvante. Elle se détourna une seconde vers le bourru, dont elle remarquait l’existence pour la première fois. Il s’était enfermé dans sa boutique. Était-ce donc pour elle qu’il avait parlé ? Sans aucun doute, puisque dans la rue paisible, elle se trouvait seule. Comment eût-elle compris une pareille injure ? Son père, un voleur !… À vrai dire, elle ne savait rien du passé de son père. S’y cachait-il quelque chose de mal ?

Tout le long de la messe, Mariette s’absorba dans ses prières, sans lever les yeux sur l’assistance, de peur d’y rencontrer des regards hostiles. À la sortie, elle s’empressa au milieu de la foule vers le portail, soucieuse d’éviter des amies qui, le dimanche, l’arrêtaient. Dans sa maison, elle craignit également de chagriner son père et sa mère, si elle leur dévoilait l’odieuse pensée qu’elle portait au fond de son âme. Mais elle ne riait plus. Elle ne fit point sa promenade de chaque jour avant le déjeuner, au beau soleil de décembre, par le jardin qui éclatait de la parure des fleurs d’hiver. Barrière observa bientôt son mutisme obstiné, qui imprimait à la douceur de son visage une gravité sombre. D’habitude, elle aidait sa mère à la mise du couvert. Aujourd’hui elle trahissait de l’ennui, une langueur étrange ; elle demeurait tout à coup immobile, sans raison. Sa mère dit à Barrière, au moment de s’asseoir à table :

— Mariette me semble drôle, tu ne trouves pas ?

— Si.

— Qu’as-tu, Mariette ? On t’a fait quelque chose ?

Mariette, en dépliant sa serviette sur ses genoux, regarda fixement son père, et non sans effort, elle répondit :

— Il me serait impossible de garder ma peine plus longtemps. Eh bien ! quand je suis allée à la messe, quel-