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le château vert

elle ne doutait pas de la probité de son père, mais l’idée d’un sacrifice nécessaire, qui n’était pas sans noblesse, s’emparait de son être davantage à chaque heure. Pouvait-elle entraîner dans son malheur Philippe et sa famille ? Elle aimait Philippe de tout son cœur. Pour être aimée de lui sans ombrage, ne devait-elle pas lui offrir, bien plus que les charmes de sa personne, l’honneur indiscutable de son nom ? Elle était allée demander à Dieu la patience de subir dignement l’injure du monde, et aussi la force de prendre vis-à-vis de Philippe une résolution suprême.

Une heure après, elle sortit plus calme de l’église et résolue au renoncement de son mariage.

Philippe, chez lui, s’alarma, dès qu’il apprit le silence étrange de Mariette. Il expédia rapidement son déjeuner et se rendit chez les Barrière. Ceux-ci achevaient leur tasse de café. La maison était triste, sans voix. Mariette, quand elle reconnut dans le couloir le pas de Philippe, devint pâle d’angoisse. Mais Philippe apparut sur la porte : elle s’efforça de lui sourire.

— Bonjour, Mariette. Eh bien ! pourquoi ne vous a-t-on pas vue ce matin ? Ma mère vous attendait.

— Oh ! Philippe, vous ne devinez pas pourquoi ?

Au lieu de se laisser embrasser, comme tous les jours, Mariette lui tendit seulement la main. Il demeura coi une seconde, et lui qui jamais ne se troublait, il eut l’émotion affreuse que le malheur le menaçait.

— Que se passe-t-il donc, Mariette ?

— Vous le savez bien.

Ayant avancé sa chaise vers la cheminée, où brûlait un feu de bois, elle désigna un fauteuil à Philippe, en face d’elle. Barrière et sa femme s’éloignèrent sans bruit, afin de laisser leurs enfants libres de s’entretenir des contrariétés présentes, auxquelles ils pouvaient seuls trouver une solution. Barrière s’en alla au fond du jardin, qu’égayait un blond soleil ; sa femme, toujours soumise à la volonté des siens, monta à sa chambre.

Entre les deux enfants un long silence régna. Avaient-ils la crainte de toucher par une parole imprudente au trésor sacré de leur amour ? Ce fut Mariette qui leva les yeux sur Philippe et dit :

— Vous savez les bruits qui courent en ville, les infamies qui souillent le nom de mon père ?