Page:Beaunier - La Poésie nouvelle, 1902.djvu/201

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dans l’antique décor d’or et d’encens des cathédrales. Et, plus vastes, plus frémissantes, les usines et les fabriques, où la machine, jour et nuit ronfle.


Des mâchoires d’acier mordent et fument ;
de grands marteaux monumentaux
broient des blocs d’or sur des enclumes,
et, dans un coin, s’illuminent des fontes
en brasiers tors et effrénés qu’on dompte.


Cependant passent, à travers les rues et les ruelles, les corbillards : la Mort balaye la ville entière au cimetière.

La voilà dans toute son horreur, la Ville dévorante, mangeuse des campagnes naguère sereines. Et c’est fini des gestes simples qui fauchaient superbement les blés évangéliques, c’est fini du labeur pacifique des plaines, des seigles mûrs, des avoines rousses…

L’âme est tumultueuse et souffrante. « Le rêve ancien est mort et le nouveau se forge » ; en attendant qu’ait pris forme cette conception de la vie qui sera la loi des temps à venir, l’âme de la ville est une âme en peine qui se démène fébrilement… Dans le poème de Verhaeren, parmi les chapitres ardents qui évoquent la folie de ces foules ruées aux banques, aux bouges, aux usines, aux cathédrales, se dressent, immobiles et dignes sur leurs socles, les quatre statues du Moine, du Soldat, du Bourgeois et de l’Apôtre. Immobiles et dignes ; — et les foules exaspérées n’ont pas un regard pour ces symboles refroidis de rêves qui jadis furent conducteurs de foules… Pourtant, au-dessus de ce trouble effroyable et de ces confusions inextricables des cités, règnent, invisibles mais précises, toutes rayonnantes d’immaté-