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L’EXPIATRICE

lettres de St Antoine.

— Quant à celles-là, cela se comprend. Mets-toi à sa place, Raymonde.

— J’admets qu’elle devait éprouver quelque gêne à nous livrer son âme ; oui, je l’admets. Mais alors, qu’est-ce qui peut bien l’avoir rassérénée, tout d’un coup ?

— Je suppose que les forces lui sont revenues et que cela lui aide à reprendre pied. À son âge, les réactions sont faciles.

— Eh bien, jette Raymonde comme un défi, si sa santé est meilleure, pourquoi n’irions-nous pas la chercher ?…

— Avoue qu’elle t’a manqué ?… suggère doucement Noëlla.

— Je l’avoue. La nature humaine est bien infirme, bien souvent en contradiction avec elle-même…

Raymonde a parlé lentement et l’esprit visiblement tiraillé par une préoccupation tenace. Quoi donc ? Noëlla se penche et, devant le regard presque trop expressif elle comprend.

Pour Raymonde, elle retrouve cruellement en elle-même cette image qui l’obsède. Édouard, en randonnée de vacances, et qui surgit inopinément à St Antoine de Tilly ; inopinément à moins que ce ne soit après un projet bien arrêté, bien mûri…

Puisque sa sœur l’a pénétrée, Raymonde n’hésite plus à penser tout haut. Ce sera peut-être, pour le moment, le plus efficace remède aux malaises dont elle se targue.

Noëlla ne trouvait-elle pas qu’il avait supporté bien facilement la séparation ? De lui-même, s’était-il informé d’elle trois fois, en tout ? Et quelle indifférence superbe lorsqu’il était, devant lui, question de l’absente ! Et on le savait si fermé, si retors. Mais surtout, pourquoi cette extraordinaire progression de joie, chez elle, à mesure qu’approchait l’été. Pourtant Mme Deslandes ne signalait rien de nouveau. Ah ! que Raymonde eût voulu pouvoir réunir en ses mains, tous les fils de cette ténébreuse affaire.

À quelque temps de là, un soir qu’elles gagnaient ensemble leur chambre commune, Raymonde dit :

— Si tu le veux, Noëlla, ce sera pour demain le voyage à St Antoine.

— Mais Paule n’est pas avertie, objecta la cadette.

— Eh bien, nous la surprendrons.

Paule reposait dans le hamac, bien à l’ombre, alors qu’autour d’elle montait l’ardente réverbération du soleil de deux heures. Elle avait ramené les franges sur elle et de tout son corps virginal, la tête seule émergeait, d’un calme marmoréen, au repos sous la blonde parure des cheveux bien lissés. On eût dit une jeune morte du pays des Natchez.

Quand elle eut quitté, puis renvoyé la voiture, mue par une sorte d’instinct, Raymonde se dirigea tout droit vers le hamac et, devant la pure apparition, l’attendrissement le disputa en elle à un horrible mouvement de dépit. Cependant, en regardant avec une attention plus soutenue, elle remarqua quelque chose d’heureux qui paraissait flotter autour des lèvres roses et, encore une fois, elle eût tout donné pour savoir quelles images peuplaient ainsi les rêves de Paule.

Elle revint sur ses pas, sa sœur la suivant toujours comme son ombre, jusqu’à la porte d’entrée où elle s’annonça en tournant légèrement la sonnette.

Mme Deslandes aussi s’était abandonnée aux douceurs du sommeil, mais l’appel de la sonnette la mit aussitôt sur pied et, quand elle reconnut les inattendues visiteuses, elle se confondit en excuses. Elle fit même un tel ramage que Paule s’éveilla, dans son hamac. En reconnaissant les voix de Raymonde et de Noëlla qui lui parvenaient distinctement, elle crut rêver et posa les mains sur son cœur. Puis, résolument, elle se dirigea vers la maison.

Raymonde la vit entrer timide, les yeux inquiets, mais un sourire d’espoir voltigeant tout de même sur les lèvres et elle parut déconcertée.

— Mais… dit-elle. C’est toi, Paule ? Et bien, qu’est-ce qu’on dit aux cousines ?…

Et elle lui ouvrit les bras.

Paule est déçue. Depuis une demi-heure peut-être qu’elle cause avec ses parentes, elle se sent observée, étudiée, retournée et cela lui rappelle l’ancienne défiance qu’elle a si bien perçue en entrant à la Pension. C’est dur. Aussi sent-elle son cœur se contracter comme les feuilles des sensitives.

Raymonde consulte sa montre et elle comprend qu’il lui faut enfin aborder la grande question.

— Écoute, Paule, dit-elle. Tu vas vraiment mieux. La campagne t’a réussi et nous en sommes fort heureuses, Noëlla et moi. Donc, si tu désires revenir à Montréal, nous pouvons te ramener tout de suite là, avec nous.

Dans le saisissement de sa surprise, la jeune fille rougit sans répondre.

— Tu es absolument libre, se hâte d’ajouter Raymonde.

Paule sentit en elle un conflit. Elle ne se souvenait pas d’avoir encore été la proie d’une irrésolution aussi grande. Est-ce si elle demandait à rester que ses cousines la jugeraient plus mal ou si elle acceptait leur offre de partir ?… Et elle-même, qu’est-ce qui la tentait davantage ?…

La conversation dévia, mais Paule continuait à tourner autour de la proposition inattendue sans sortir de sa perplexité.

Son trouble n’échappait point aux cousines qui, bientôt, répétaient leur question.

— Eh bien, que décides-tu ?

— Je ferai ce que vous voudrez, promit la jeune fille.

— Pas du tout, se récria Raymonde. Tu es libre. Agis absolument comme tu l’entendras. C’est pour toi comprends-tu ?…

— Alors, fit-elle avec une sorte de précipitation et son front s’empourprant, j’aimerais attendre encore un peu.

Raymonde laissa échapper un : « Ah » énigmatique pendant que, dans un mouvement de bonté, Noëlla entreprenait de démontrer combien cette préférence était naturelle.

— C’est si beau, la campagne, l’été, dit-elle. Le bon air te fera du bien. Déjà, je