Page:Beauregard - L'expiatrice, 1925.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
L’EXPIATRICE

le plus qu’elle peut. Parfois, elle est même tentée d’en vouloir au jeune médecin lui-même ; surtout, elle redoute l’évolution de ses sentiments. Elle ne veut pas que cela se produise. Non, jamais ! Elle n’accepterait l’amour d’aucun homme. Il est vrai qu’elle a laissé Édouard lui témoigner une tendresse paternelle, une affection de grand frère, mais c’était après lui avoir fait part de ses projets d’avenir et, d’ailleurs, elle a assez déploré sa faiblesse !…

Dorénavant, c’est au couvent qu’elle appartient toute entière. Les lourdes portes qui se referment sur les petites postulantes, les longs corridors, et les belles salles nues, comme elle disait elle-même à sœur Éloi, tout cela la sollicite de nouveau ; non pas qu’elle y ait jamais renoncé, mais depuis son arrivée à St Antoine, elle s’en reposait pour ainsi dire. Il lui semble que le jour où il lui sera donné de pénétrer dans l’un de ces asiles sera pour elle le jour béni entre tous.

En attendant, il lui vient des velléités de révolte contre la rigueur de son destin. Pourquoi tout le monde se retourne-t-il finalement contre elle ?… Est-elle si mauvaise que cela ? Quels sont donc ces crimes qu’elle a à expier ?

Le but ordinaire de ses promenades, c’est maintenant la maison des Fonds où demeurent ces petits-cousins de sa mère dont on lui a signalé l’existence. Elle, est fort sourde et son infirmité la fait à la fois taciturne et ombrageuse. Lui, un petit vieux malin et qui ne tient pas en place est plus souvent sur la grève qu’au coin du feu. Mais il y a aussi Rosanna… Haute comme un chou, laide et terne, toujours prête à accepter la dernière place et à subir sans répliquer les avanies du sort. Rosanna sème à la journée les reparties brillantes de l’esprit le plus savoureux quand elle ne fait pas montre de traits de délicatesse dont elle a d’ailleurs, un peu honte.

Dès le premier jour, une sorte de camaraderie s’est établie, entre elle et Paule, basée sur une confiance réciproque absolue.

Un après-midi du commencement de septembre Paule gravissait lentement la côte qui conduit des Fonds au village quand la rencontre toujours redoutée se produisit : Henri lui apparaissait tout à coup et, à sa vue, elle tressaillit des pieds à la tête.

Conscient de l’émoi qu’il lui causait et peut-être de la qualité de cet émoi, il s’approcha d’elle avec un franc sourire et, envoyant rouler son chapeau dans la poussière, il engagea aussitôt la conversation.

Il l’avait entretenue, un jour, des Méridionaux qui « ont du soleil dans les veines ». C’est lui qui, aujourd’hui, paraissait en être saturé, ivre de soleil. À tout moment et sans cause, le rire lui montait aux dents. Dans son visage mobile, les yeux ardents, les yeux de feu riaient aussi.

Au premier mouvement de retraite qu’esquissa la jeune fille, il protesta avec une véhémence qui prouva que ce geste ne le prenait point au dépourvu.

— Vous n’allez pas vous sauver déjà, mademoiselle ?… Est-ce que je vous fais peur ? Jouissez donc en paix de cet arrêt au milieu de vos jours. Regardez la nature en fête ; savourez le calme de l’air, les chants d’oiseaux, l’été qui se prolonge…

Le rire, encore une fois, giclait entre ses dents.

— N’avez-vous jamais fait de folie, Mlle Roché ? demanda-t-il. Non ? Que je vous plains. Une pareille austérité n’est pas de votre âge. Quant à moi, ajouta-t-il, je me sens mûr, aujourd’hui, pour n’importe quelle énormité.

Il la vit pâlir, la trop sérieuse enfant et, avant qu’elle ne lui échappât par une course éperdue, peut-être, il lui saisit vivement les poignets.

— Laissez-moi, balbutia Paule ; je veux m’en aller.

— Promettez-moi de rester jusqu’à ce que je vous aie tout dit, ordonna-t-il. Autrement, je vous garde.

Affolée, elle lui assura qu’elle promettait et il desserra son étreinte. Mais il la tenait toujours sous le feu de son regard.

— Vous ne savez donc pas, reprit-il sans autre préambule, que… je vous aime ? Oui, je vous aime ! J’ose vous aimer…

Paule secoua la tête, ses yeux effrayés ne sachant où se poser.

— Il ne faut pas ! dit-elle enfin, avec force.

D’une poussée de tout son être, se révolta :

— Pourquoi ?

— Parce que je ne me marierai jamais. Je suis décidée, et depuis longtemps, à entrer au couvent.

Il s’éteignit, pour ainsi dire ; sans motif, ses yeux se tournèrent du côté du fleuve et Paule ne voyait plus devant elle qu’un pauvre homme pareil à tant d’autres qu’on croise dans les rues des villes ou sur les routes des campagnes.

Il eut encore un soubresaut, cependant, et ce fut pour demander :

— Ce n’est pas sérieux, ce que vous venez de dire là ?

— Très sérieux affirma-t-elle.

Mais la dernière syllabe s’étrangla dans sa gorge en même temps qu’elle subissait un choc intérieur violent : une conviction s’imposait soudain à elle qu’elle courait après une chimère en désirant le couvent où elle n’entrerait jamais.

— Alors, reprenait Henri, sans soupçonner l’émotion nouvelle de sa compagne, il ne me reste plus qu’à vous demander pardon de mon audace…

Il ramassa son chapeau et le secoua sur son genou.

— Au moins, reprit-il, j’emporterai deux consolations : c’est que nous nous quittons amis et puis… vous ne serez jamais à un autre !

Un dernier éclair avait jailli de ses yeux. En saluant, il s’éloigna.

Paule resta le regard absent et, durant deux jours, Mme Deslandes la sentit si lointaine qu’elle songeait sérieusement à avertir le docteur d’abord, Mlle Dufresne ensuite. Mais le troisième jour, une lettre arriva de la Pension qui eut le don de ramener à elle l’endormie.