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LE SECRET DE L’ORPHELINE

Et, en même temps que sa voix, les grands yeux de Charlotte interrogent.

C’est elle qui, ce soir, s’est accrochée au bras de Georgine pour lui faire la reconduite jusqu’au tramway. Ce n’est pas la première fois. Les deux jeunes filles sont les seules françaises employées au journal. Pour cette raison et quelques autres, elles ont tout de suite sympathisé et il n’est pas rare de les voir quitter ensemble le bureau, en causant sans hâte, avec la confiance de bonnes amies.

Mlle Favreau s’accorda le temps de réfléchir puis, elle secoua la tête.

— Pas ce soir, Charlotte. Ne m’en voulez pas…

— Mais vous vous ennuierez ; vous n’avez rien à faire.

— Tout d’abord, détrompez-vous. J’ai toujours ma copie, puis, mon journal.

— Oh ! ce journal… Si je pouvais seulement y mettre le nez.

Georgine sourit.

— Cela viendra peut-être.

— Entre nous, je n’y compte pas trop. Je parierais que le nom de M. X… s’y lit à chaque page et plusieurs fois par page.

— Quand ce serait, je n’y vois pas de mal.

— Moi non plus. Mais avouez, Georgine chérie, que cette fois, vous êtes bien prise.

— Si j’ai bonne mémoire, Charlotte, vous m’avez déjà dit la même chose, deux fois au moins, dans des circonstances analogues.

— Justement, c’est la troisième fois qui compte, paraît-il. Oui ou non, M. X… vous plaît-il ?

— Énormément… jusqu’à nouvel ordre. Songez que je ne l’ai vu que quatre fois encore, et toujours par affaire.

— Alors, pendant que le héros possède encore vos bonnes grâces, ô princesse, racontez-moi donc votre joli roman. Je n’en sais encore rien, ou si peu… Je ne vous vois plus depuis que ce monsieur, un compatriote à moi, encore, est entré dans notre vie.

Ses narines frémissantes aspirèrent un peu d’air et, s’emparant du bras de sa compagne, elle se rapprocha d’elle plus étroitement afin de mieux saisir tout ce qu’on allait lui dire.

— Ensuite, je répéterai tout à maman, vous permettez ? Elle est si friande de ces aventures sentimentales, ma petite mère…

— À propos, Charlotte. Êtes-vous sûre de ne pas connaître M. X… ?

— Autant qu’il me semble, non, mais non ! Qu’est-ce qui vous fait croire que je pourrais le connaître ?

— L’été dernier, lorsque je me suis fait poser par Gill, vous vous rappeliez ? Je vous ai rencontrée, en revenant, et vous avez retenu l’une de mes photos en me promettant de l’exposer sur votre piano.

— Ce que j’ai fait.

— Dernièrement, vous savez que notre supplément a reproduit précisément cette photographie où je montre mes dents — sans malice, M. X… l’a vue ; c’est même ce qui l’a décidé, paraît-il, à venir me trouver. Il était bien près de me croire Française, m’a-t-il dit, car ma photo lui a fait une impression de déjà vu. Étant de notre nationalité, j’ai pensé que vous aviez pu le recevoir déjà, ne fût-ce qu’une fois et que… ma figure souriante l’ait conquis.

— C’est fort bien imaginé mais, encore une fois, je ne sache pas que ce nom de M. X… nous soit familier à ma mère ni à moi. Nous frayons si peu. À moins que… Attendez donc. Est-ce un grand brun ?

— Il est blond comme les blés et à peine si son front dépasse le mien.

— C’est que le cousin Paul est venu à l’improviste, l’autre dimanche, accompagné d’un régiment d’amis. Ils ne sont restés que quelques secondes. Et je suis d’autant plus empêchée de vous dire si M. X… se trouvait parmi eux que je n’étais pas moi-même à la maison. C’est par ma mère que j’ai su. Mais je la questionnerai de nouveau.

— Je vous disais donc, se reprit Georgine, que c’était mon portrait qui avait déclenché l’offensive. Ma première chronique intitulée : « Être seul » l’avait préparée.

Et, par le menu, que Mlle Lépée fut déjà au courant ou non, elle lui narra toute la délicieuse aventure.

Charlotte buvait ses paroles qu’elle ponctuait de oui oui… comme si elle se sentait vivre à la place de son amie.

— Maintenant, conclut enfin Georgine, vous en savez aussi long que mon journal.

— Merci ! fit Charlotte, dans un élan.

Elle voulut ensuite revenir à son invitation du commencement, mais Georgine s’entêta dans son refus, ce qui, toutefois, ne nuisit en rien à la cordialité de leurs adieux.

Après le souper que prenaient à une table commune tous les pensionnaires de Mme Verdon, et qui fut gai, animé, Georgine monta immédiatement à sa chambre. Elle se faisait une sorte de point d’honneur de tenir parole à Charlotte en travaillant ce soir à son journal et surtout à la copie que réclamerait dans quelques jours la Page des Dames. Mais un démon malin entreprit la lut-