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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT LOUIS

en glaces répondent aux fenêtres du balcon, d’où la vue s’étend du côté gauche sur les Célestins et l’Arsenal, et du côté droit jusqu’aux larges confins du Louvre.

La chambre à coucher, d’un style riche et pâteux, possède un fort beau plafond et un raccourci de Lesueur, le Sommeil. Elle a des camaïeux et des grisailles d’une bonne école. La dernière pièce de ce riche appartement consiste enfin dans un boudoir d’une délicatesse exquise, où les glaces de Bohême témoignent assez d’une date antérieure à celle de la manufacture due au génie de Fouquet, le surintendant. Des peintures mythologiques, des chiffres et des enroulements d’un grand effet donnent à ce boudoir un cachet si particulier, que la main tâtonne involontairement ces divins panneaux, jusqu’à ce qu’elle ait trouvé le ressort mystérieux de quelque porte secrète. Or, cette porte même ne manque pas, et l’on veut que Lauzun, poursuivi par le couteau galant de la jalouse Mademoiselle, ait plus d’une fois profité de cette issue.

Ébloui devant de pareilles magnificences comme devant un riche écrin de Froment Meurice, l’habile ciseleur, j’eusse toutefois cherché vainement à m’asseoir, l’appartement n’avait pas même une chaise. Aveuglés un moment par les radieuses effluves de ces plafonds, mes yeux devaient pourtant retomber sur des profanations encore récentes. C’est ainsi que je vis avec effroi les portes jadis dorées recouvertes d’un odieux empâtage, et que je pus lire sur un volet une formule du Codex. Une formule de droguiste tracée à la craie dans pareil lieu ! Qu’avait donc à faire la gent pharmaceutique avec les peintures de Lesueur ? Je ne remarquai pas sans frissonner l’angle de la rue des Lions-Saint-Paul, que l’on pouvait voir de ce balcon ; c’est là que demeurait la Brinvilliers ! Il serait piquant, pensai-je, qu’il eût logé ici, vis-à-vis d’elle, un chimiste comme Sainte-Croix ! Ou bien serait-ce Lauzun qui soufflait de l’or en ce palais, et faisait de l’alchimie ! Quoi qu’il en pût être