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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

secs et fixes me regarder à travers les trous de mon masque. Je ne me trompais pas. Oh ! dites, elle vous aura entraîné à sa suite, elle aura fait de vous son intendant ou son écuyer. C’est ainsi, m’a-t-on dit, que les grandes dames vous récompensent d’un service. Un peu d’or, un titre, c’est par là qu’elles gagnent les cœurs les plus loyaux, les plus fiers ! Et c’est là tout ce qu’elle pouvait faire ; c’est ce qu’elle a fait, je le vois. Cette noble dame ne pouvait éponger le fils de maître Philippe ; une mésalliance l’eût perdue, n’est-il pas vrai ? Après vous avoir promené un an à sa suite, comme un esclave, elle daigne enfin vous rendre à moi, à moi dont elle sait peut-être le désespoir et les larmes ! Voilà qui est noble et magnanime, continua Mariette sur le même ton de raillerie, s’informer de moi, pauvre orpheline, me prendre en pitié ! Ah ! si je savais le lieu qu’elle habite, j’irais la remercier !

Charles écoutait Mariette avec une stupeur égale au moins à sa tristesse. Le secret de sa vie, son secret le plus terrible et le plus cher, remis aux mains de cette imprudente enfant, l’épouvantait. Il était loin d’ignorer la décision de la jeune fille ; ces habits de cavalier eussent suffi pour lui prouver ce qu’elle tenterait au besoin. Ce pacte signé de son nom l’inquiétait ; il voulait parler, et la parole mourait sur ses lèvres immobiles. La beauté d’une femme s’accroît souvent de l’impression du cadre qui l’entoure. Le lieu où se trouvait Charles était silencieux et terrible, nous l’avons dit ; quelques pentes d’herbes et de marécages s’y trouvaient alors éclairées par les rayons d’une lune blafarde… la Seine étincelait au loin comme une glace limpide ; mais sur la rivière aucune barque, aucun chant, aucun flambeau. Charles ne voyait alors devant lui que deux choses : la croix noire élevée au passeux de l’île aux Vaches, et cette jeune fille qui venait réclamer de lui une parole sacrée.

— Je suis à vous, lui dit-il, à vous, comme autrefois ; parlez.