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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

odieux rival. Ce souvenir acquit même, malgré ses efforts, un tel degré de consistance dans son esprit, qu’il passa la main sur son front comme pour s’en dégager ; mais il lui devint impossible de s’en affranchir, il ferma les yeux comme s’il eût été encore étendu sur la table de marbre de l’anatomiste.

Tout coup, il entendit se refermer lourdement derrière lui la porte du souterrain.

Presque au même instant, deux yeux brillèrent dans l’ombre.

— Défends-toi ! cria Pompeo, en se plaçant l’épée nue dans l’espace que la lumière frappait.

Samuel l’y rejoignit, et tous deux croisèrent les éclairs luisants de leur glaive.

Pompeo avait pour lui cette force herculéenne, si redoutable dans un pareil jeu ; quand il touchait le sol, c’était comme Anthée, il acquérait une invincible vigueur. Samuel ne connaissait de l’escrime que la prudence et la ruse.

— Ramasse ton épée, noble docteur, cria-t-il en raillant à Samuel, qu’il désarma tout d’abord ; n’est-ce pas ici le moment de prendre ton scalpel ? Par ma foi, tu ne saignes que tes malades !

Samuel, confus, ramassa son arme et se mit en garde avec un sang-froid apparent.

— Railles-tu, reprit Pompeo, et de quelle académie sors-tu, Samuel ? N’es-tu donc bon qu’à jeter les gens en Seine ?

— Pompeo, ton œil se trouble, dit Samuel, ta main n’est plus assurée.

— Elle l’est encore assez pour punir un traître, répondit Pompeo ; pare donc ce coup avec ta science, docteur !

Et plongeant le fer dans la poitrine de Samuel, il l’en retira sanglant. En ce moment, lui-même chancela, et il s’appuya contre une colonne.

— Je meurs !… ah !… j’étouffe… murmura le docteur d’une voix rauque ; je meurs… Pompeo, mais tu vas mourir aussi…