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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

une atmosphère épaisse autour de lui : il s’assit paisiblement à une table, sans trop prendre garde aux hôtes de maître Philippe.

Deux masques remuaient alors les dés à deux pas de l’Italien. À sa vue, l’un d’eux fit un mouvement et arrêta son cornet.

— Qu’avez-vous donc ? demanda le plus grand des joueurs à l’autre.

— Je vous le dirai… Observons, lui répondit son interlocuteur en se remettant au jeu.

— Le broc d’honneur ! s’écria Saint-Amand d’une voix rauque. Si vous voulez que je vous dise mon sonnet, il faut m’humecter.

Car le vin c’est mon feu, mon sang et mon soleil !

Saint-Amand trébucha ; il fût tombé sur le sol sans l’aide de Chassaingrimont. Il y avait, dans ce cabaret de la Pomme de pin, chanté tant de fois par lui, deux camps bien distincts d’abord les véritables clients de maître Gruyn, c’est-à-dire ceux qui payaient. De ce nombre étaient Granchamp, Chassaingrimont, Pontmenard, Saint-Brice et Bilot ; l’autre se recrutait du capitaine la Ripaille, de Bellerose le comédien, et d’autres pauvres hères. Placé sur le pont Marie, le cabaret de maître Philippe Gruyn ne ressemblait, du reste, en rien aux établissements ignobles d’aujourd’hui les gens les plus distingués par la naissance et par le talent le fréquentaient. On y dînait tour à tour et on y soupait. Des poëtes du temps, tels que Saint-Amand et Regnier, ses desservants, comparaient ce lieu à la fontaine de Jouvence. On ne dit pas que le vin de cette taverne rajeunît ; mais il est à présumer qu’il était bon, le cabaretier Philippe Gruyn ayant fourni plus tard la maison du maréchal la Meilleraye, ce bizarre neveu du cardinal de Richelieu, devenu depuis surintendant des finances.

— Mais on veut donc ma mort ! hurla de nouveau Saint-