Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

l’irritation de votre père je vous eusse défendu à ses propres yeux.

— Toujours en tutelle ! toujours espionné ! murmura Charles.

— Toujours aimé et excusé, reprit Mariette.

— Mariette, s’écria le jeune homme, Mariette, tu es un ange ! Oui, tu as compris mes folies et tu m’absous ; oui, Mariette, tu m’aimes !

— Assez pour en mourir, balbutia Mariette, dont les joues avaient alors la pâleur du marbre, et dont le sein était oppressé.

— Mariette, demanda Charles, penses-tu que je puisse un jour devenir autre chose que le fils de maître Philippe ?

— Le fils de maître Philippe, reprit Mariette, vaut bien tous les gentilshommes qui viennent ici !

— Assez, Mariette, assez, répondit le fier jeune homme. Dès demain, je veux que tu me croie l’égal de ces nobles seigneurs ; dès demain je veux justifier ton opinion. Et d’abord, Mariette, ajouta Charles Gruyn, j’ai vu un diamant l’autre jour au pont au Change ; je l’achèterai, tu le porteras, je le veux. Demain, Mariette, tu auras des gants de senteur et des parfums ; car, sache-le, je te trouve aussi belle que beaucoup de leurs grandes dames.

Mariette rougit et se troubla.

— Qu’est-ce qu’une grande dame ? après tout ! continua Charles en s’exaltant. Un automate plaqué de blanc et de ronge, qui salue, se dresse, et répond à peine aux questions. C’est un composé de points de Hollande, de beau langage d’ambre et de mensonge. Elles vous toisent du haut de leur coche, ou vous font renvoyer par leur laquais ! Le capitaine la Ripaille se vante souvent d’avoir été distingué par elles, mais on regarde Turlupin et Gautier Garguille sur le pont Neuf. Tandis que toi, Mariette, toi, toujours simple, avenante et bonne… Va, Mariette, au lieu d’oublier, moi je veux me souvenir ; je veux, avant tout, ne plus te faire pleurer ! Arrière l’ambition, la soif des honneurs et de l’or,