Page:Becque - Théâtre complet, 1890, tome 1.djvu/224

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grandeur, une combinaison terre à terre d’où l’on a exclu la liberté et la passion ! Ah ! être libre ! libre ! Que je souffre depuis que je l’aime ! que d’agitations énervantes ! que de réflexions audacieuses ! Où sont mes innocentes rêveries d’autrefois que je pouvais écrire chaque soir sans crainte qu’on ne les surprit. On me trouvait déjà la tête trop vive, une imagination désordonnée, mais mes entretiens avec moi-même ne dépassaient pas la mesure des confidences permises ; je ne songeais guère à me révolter du train de ce monde ; je ne demandais à l’avenir qu’une habitation exceptionnelle pour y mener la destinée commune. Le repos de ma vie entière est engagé maintenant dans une aventure d’un jour. Celui que j’ai accueilli comme un maître se lassera bientôt d’une domination incomplète et j’aurai perdu son respect sans m’attacher sa tendresse. Il me reprochera d’avoir abandonné mon cœur, il me reprochera d’avoir défendu ma personne ; mais quelle est donc la jeune fille qui oserait recevoir dans ses bras un autre homme que son mari ? Viens, viens, mon gentilhomme, mon guerrier, j’oublie en te voyant toutes les larmes que tu me coûtes. Viens vite, que j’admire un instant ta personne hautaine ; que j’entende encore ta voix brève et dédaigneuse ; apporte dans ma prison des paroles de liberté, des chants de révolte. Que je t’envie, homme heureux, si supérieur aux autres hommes, tu ne connais ni leurs scrupules, ni leurs faiblesses !