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méthode de Burnouf devînt pour ceux-ci un admirable instrument qui leur permit de satisfaire avec plus de sûreté aux nouvelles exigences du public. Ajoutez à cela les immenses progrès de la philologie, les travaux de Dübner, de Boissonnade, de Hase, de Dindorff, de Fix, et de de Sinner, pour ne nommer que ceux-là, qui vinrent compléter ou corriger les textes. Ce fut dans ces conditions de supériorité relative que travaillèrent nos traducteurs contemporains, surtout à partir de la seconde moitié de ce siècle.

Mais si, d’un côté, ces diverses améliorations les mirent à même d’obtenir des résultats plus parfaits, d’un autre côté, l’obligation de se rapprocher de plus en plus de la vérité augmenta chaque jour la difficulté de leur tâche. Plus le traducteur se trouva condamné à restreindre le champ de la fantaisie, et plus son travail exigea d’érudition et de sagacité. Aussi, à mesure que l’art de traduire représentera une plus grande somme de connaissances techniques et d’efforts sérieux, verrons-nous diminuer le nombre des traducteurs hommes du monde et augmenter celui des traducteurs universitaires. À part deux ou trois exceptions, toutes les traductions remarquables de cette période-ci sont dues à des professeurs soit de nos lycées, soit de nos Facultés.

Mais, avant d’examiner cette dernière série de travailleurs, véritable lignée de Burnouf, il nous faut jeter un coup d’œil sur quelques ouvriers et sur quelques ouvrages d’une date plus récente et qui ont suivi immédiatement le grand mouvement littéraire de 1830.

L’un des ouvrages les plus intéressants de cette époque fut le Thucydide d’Ambroise-Firmin Didot. Il remonte à l’année 1833. Il se distingue par une lutte attentive et souvent heureuse contre les difficultés du texte, qu’il serre de très près.

Par une innovation hardie, Ambroise-Firmin Didot laisse aux noms propres leur physionomie antique aussi souvent que cela lui paraît possible. Sans heurter trop violemment les traditions invétérées, il proteste courageusement contre la routine. Il est un oseur, j’allais dire un romantique de la traduction. Il attache tant d’importance à cette réforme que dans la seconde édition de son Thucydide il expose les principes qui l’ont guidé dans la transcription des