Page:Belon - L’histoire naturelle des estranges poissons marins.djvu/89

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XV.

Que l’artifice des hommes puisse excuser le default de nature, & donner bonne grace au mauvais goust des poissons.

SUyvãt cecy, ie veul racompter combien l’artifice des hõmes peult adiouster a nature : car les paovres mariniers & pescheurs, aiants pris des poissons qui d’euls mesmes sont de saveur ingrate, comme sont les especes de Chiens nommez en Latin Galei, ou plusieurs autres cartilagineux, comme Lamia, Amia, & cestui ci que i’ay icy portraict nommé Zygena, ou Libella : ils leur scavent faire une saulce si propre, que la saveur de la saulce surpasse la saveur ingrate du poisson, laquelle leur oste la mauvaise odeur, & les rend delectables : & tout ainsi que les pl riches font telles saulces avec bonnes Muscades, Girofles, Macis, & Canelle battue, Beurre, Succre, Vin aigre, Pain rosti : lesquelles choses les cuisiniers asaisõnent si bien au Marsouin, que encor qu’il sentist le Regnard escorché, toutesfois ils le rendrõt d’un goust plus friãd, & d’une saveur plus exquise que ne sont les Rougets, Barbez, ou Lãproyes. Aussi les paovres gents n’aiants point tant de choses a commandement, aiants tant seulement des aux & des noix, qu’ils battent avec du pain & de l’huille, & du vin aigre, ils feront une saulce a leur poisson, qu’ils rendront a leur appetit si delicieuse qu’on n’en peut mãger, sinon par grande singularité : & telle maniere de saulce est generalement cogneue de touts pescheurs, qu’ils nomment vulgairement de l’Aillade.

Le portraict de Libella que les Grecs nõment Zigena, et les Romains una Balesta, c’est a dire une arbalestre.