Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
107
GRANDGOUJON

le costume civil et l’uniforme guerrier. Sa culotte était d’un officier de cavalerie, mais ses bottes et son chapeau d’un gendarme, et il portait une redingote de pion de lycée !

— C’est pourtant vrai ! dit Grandgoujon, de nouveau jovial.

Il faut ajouter que Grandgoujon regardait Mademoiselle Nini. Elle avait sorti une glace minuscule, et de nouveau poudrait son bout de nez, ce qu’elle faisait cinq à six fois par heure. Elle tirait aussi de petits cheveux bouclés sur ses tempes. Et Grandgoujon, à cette vue, était ravi. Il n’avait, sur la beauté féminine, aucune idée préconçue ni étudiée. Devant la Vénus de Milo, il croisait les bras et disait : « Crénom ! » Mais cette jeune personne, vignette de catalogue, lui faisait penser avec la même ardeur : « Ce n’est pas de la petite bière ! » Sa jeunesse, ses mouvements de chatte, ce buste souple l’enchantaient, lui qui subissait indistinctement les influences agréables ou les autres ; son œil allant de la petite à Moquerard, il gonflait les joues, bridait les yeux, se disait avec envie : « Ils ne s’embêtent pas, ces deux-là ! » et pour son compte il imaginait déjà avec elle une aventure feuilletonnesque, sentimentale comme une chanson des rues.

La voix de Quinze-Grammes l’éveilla :

— Vous savez, mon lieutenant, que Grandgoujon habite la maison au père Sablons ?

— Qui ? Vous, protecteur des lois ? s’écria Moquerard. Au moins vous ne fréquentez pas cette ganache ?… Vous vous contentez d’habiter au--