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GRANDGOUJON

— Ça y est… ça y est encore ! bredouilla-t-il.

En cette minute il lui sembla percevoir la plainte de tout le pays d’alentour, qui jetait l’alarme en la grande ville, car sur le pays, déjà, l’obus venait, passait, courait. Grandgoujon le devina, le sentit ; il ploya les épaules ; et ce fut un éclatement effroyable, déchirant, métallique, avec un éclair qui l’aveugla, puis mille choses tombant en trombe sur le toit de l’hôtel. Il sauta sur sa culotte. Dans le couloir, tous ressortaient, se mêlaient, couraient, fuyaient au fond de la cave. Une fois qu’ils y furent, ils se regardèrent. Les mêmes. Une femme, pourtant, accourut du dehors, échevelée, bredouillant : « Toutes les glaces au pâtissier sont tombées ! »

— C’est terrible ! reprit le vieillard. Pourtant… ça doit leur coûter cher chaque coup de canon ?…

— Oh !… Monsieur, risqua Grandgoujon, qui avait besoin de se confier et de se lier, ça va, je crois, dans les vingt-cinq mille francs…

— Mais le prix, on s’en fiche ! dit brutalement l’homme aux vins ; ce que je dis, moi, c’est que maintenant je ne remonte sous aucun prétexte !

Son œil mauvais visa le patron, à qui le vieillard demandait déjà :

— Vont-ils recommencer ?…

Grande aventure ; époque tragique ; jours dont l’Histoire parlera ; comme ils furent faits cependant de choses souvent minuscules ! Dans cette cave, de nouveau, la sottise humaine régnait. Les femmes n’étaient pas belles. Deux amoureux, dé-