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GRANDGOUJON

est l’heure que je sois au Ministère. Heureusement, nous avons une succursale ici. Je suis délégué par le Conseil des historiographes pour recueillir des chansons gaies, fines et patriotiques. Le devoir m’appelle. Je te plaque.

Il fit deux pas vers le concert :

— Ne te fais aucune bile au sujet de la chère jeune femme, dont à laquelle…

Et il simula la tête puis la voix d’un vieillard :

— Elle a tout ce qu’il faut pour plaire.

Rire gouailleur ; bridements d’yeux ; il disparut.

Grandgoujon demeura d’abord béant sur le trottoir. Puis il se ressaisit ; pensa : « Quel veau ! » se bouchonna la figure, car il avait passé par des alternatives de froid et de vapeur ; et il partit chez lui.

Une fois de plus, sa bonne femme de mère était sens dessus dessous. N’ayant pas reçu les cartes, elle pensait son fils mort. La molle Madame Creveau la consolait en vain. Mais dès que Mariette ouvrit :

— Ah ! cria-t-elle, c’est lui !

Et Mariette, haineuse :

— Le disais-je à Madame qu’il avait seulement rien !

Grandgoujon serré, embrassé, bousculé, se sentit brusquement bien ému. Aussi, d’une voix bredouillante :

— Vous ne pouvez pas vous figurer…

— Mon Dieu ! dit sa mère. Assieds-toi. Raconte… Tu sors des tranchées ?