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GRANDGOUJON

— Je suis pris et presque convoqué !

Puis il tendit le bras comme s’il y avait un drapeau au bout.

— On va être un peu là !


Six mois passèrent. Aucun appel.

Pourtant, un de ses amis, peintre, de la même classe, était convoqué depuis un trimestre. Il peignait des roues de voitures militaires ; ce n’était guère tentant ; n’importe, Grandgoujon l’enviait. Et sa mère avait raison de dire à Madame Creveau :

— Il a un cœur de français, Madame, et il se ronge chez nous !

De l’armée il ne connaissait que les défilés, les revues, la musique, et ce qu’on en dit dans les Odes aux héros : il alla vers elle en toute innocence. Un jour, le feutre en bataille, il courut au recrutement. Il avait l’âme ardente, et il songeait aux enrôlements de la Révolution. Mais il fut reçu par un mauvais chien de quartier, qui maugréa :

— Z’avez du zèle de trop, vous encore ! Y a beau temps que votre classe est libérée.

— Libérée ? dit Grandgoujon.

— Avez qu’à rentrer dans vos fermes, voir si les poules pondent… Sans compter (le sous-off cambrait le buste et lui désignait ses pieds) que vous auriez pu gratter la crotte à vos semelles avant que d’entrer ! Les nègres qu’on espédie d’Afrique, c’est pas pour nettoyer nos bureaux quand les civils y sont passés !