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GRANDGOUJON

pas, eut d’abord l’air de parler seul, puis, rattrapant son grand sujet de rancœur, — car Creveau, il ne lui en voulait pas, Creveau setait abstenu, — il s’écria :

— Ce Moquerard, tenez…

Madame des Sablons resta muette.

— Ce beau parleur crevait les Boches par douzaines. Bon. Mais mettez cette gloire nationale en face d’une femme : vous verrez, lui aussi, comme il se conduira !

Madame des Sablons soupira, et Grandgoujon poursuivit :

— Sa conscience, d’ailleurs, est sur ses manches. Avez-vous regardé ses galons ? Il n’est pas lieutenant, Madame, il est sergent ! C’est Quinze-Grammes qui a découvert le pot-aux-roses ! Et lui, s’en moque, en titi parisien ; il dit : « Il peut bien se faire passer pour général ! » Mais nous, notre devoir est de considérer les choses d’un autre œil, et quand je songe que ce personnage est reçu à bras ouverts partout…

Madame des Sablons l’interrompit :

— Pas partout !…

Grandgoujon devint rouge. Il s’excusa presque :

— Notez, chère Madame, que ça ne m’émeut pas. À mon âge, on a fait sa vie. Moi, j’ai pour premier principe qu’en étant moins mufle, je vaux le même prix que les autres. Mais ce n’est pas une raison pour être une poire. Vous me voyez dans ce costume idiot ; je vous ai dit que j’étais « indisponible » ; bref, vous déduisez que la Société carrément se paye ma tête ! Madame, je m’en rends