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LES PLAISIRS DU HASARD

pas !… (haussant le ton) Tout, mais ne me brusquez pas ! Le Président l’a défendu !

Le Docteur. — Qu’est-ce que tu lui as fait ?

Emmanuel, criant. — Je suis déjà assez furieux d’être fou : il ne faudrait pas me rendre fou furieux !

Le Docteur, effrayé. — Mon ami !…

Emmanuel. — C’est que je n’ai plus l’air d’être votre ami !

Le Docteur. — Comprenez donc la honte…

Emmanuel. — D’appartenir à une Société burlesque ? J’y ai maintenant un avenir illimité ! (Il hausse légèrement les épaules, soupire, sourit). — Mon pauvre père, au nom de la Poésie et de la Fantaisie que nous paraissions chérir ensemble, prenez mon bras et appuyez-y votre misère. (Au fils) Vous, jeune homme, portez mon pardessus, je vous prie, et soyez modeste. Il est midi trente-cinq ! Vous semblez oublier tous deux que, là-bas, des cierges brûlent pour rien, que l’organiste peste à son orgue, et qu’une jeune fille, dans son impatience délicieuse, s’empêtre dans sa traîne. De grâce, marchons, et vite ! Au dire de chacun, je suis fou ? N’est-il pas grand temps de me marier ?

RIDEAU