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TRAGEDIE.



Scène deuxieſme.

PRIAM, ACHILLE, HECUBE.
Priam. (luy allant à la rencontre.)


Nous venons de pleurer ſur les cendres d’Hector,
Et de ſes os bruſlez le bucher fume encor,
Depuis que nous menons cette vie affligée,
Neuf fois j’ai veu jaunir nos plaines de Sigée,
Et deſja par neuf fois Ide le Sacré mont
De neige, & de frimas s’eſt couronné le front.
Nous n’abandonnons point ceux qui ceſſent de vivre,
On nous voit tous les jours les bruſler, ou les ſuivre,
Et la fatalité de nos communs malheurs
Nous fait toujours reſpãdre ou du ſang, ou des pleurs.
Que ne vous trouviez-vous parmy la compagnie
Pour eſtre ſpectateur de la ceremonie.

Achille.

Je ne recherche point d’accroiſtre mon mal-heur,
Ma douleur me ſuffit ſans une autre douleur,
Mon eſprit ſouffre aſſez au mal qu’il ſe propoſe,
Sans voir ce triſte effect dont mon bras eſt la cauſe,
« Noſtre félicité n’eſt pas d’eſtre Vainqueur,
Et ſouvent la victoire eſt triſte dans le cœur. »