Page:Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxons, trad. Thomas, 1919.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mis à la postérité en un manuscrit unique, le Codex Vitellius Axv, aujourd’hui déposé au Musée Britannique, et qui faisait partie au 18e siècle du célèbre Fonds Cotton, fortement endommagé par un incendie en 1731. Comme de ces poèmes aussi, il n’en subsiste qu’une version en dialecte anglo-saxon occidental qui paraît transcrite sur un original provenant de l’Anglie. De là bon nombre de termes aux désinences angliennes qui, avec quelques particularités linguistiques du Kent, introduites sans doute par les auteurs de la transcription, détonnent dans un style généralement homogène. Les copistes en question, qui semblent être du 10e siècle, se sont partagé la tâche : l’un d’eux a écrit du commencement de l’œuvre au mot scyran du vers 1939 et l’autre la fin ainsi que le poème de Judith, qui suit le Beowulf dans le Codex Vitellius. C’est au second qu’il faut attribuer le changement de la diphtongue eo en io et l’adoption presque constante de Biowulf, pour le nom du héros dans cette dernière moitié du manuscrit. Enfin il reste dans le texte actuel quelques traces d’un reviseur qui a corrigé de temps à autre le travail des deux scribes.

De ces faits matériels l’on peut tirer quelques conclusions générales. Les formes angliennes laissent supposer que le premier rédacteur du Beowulf sous sa forme définitive, dut être un scop de Northumbrie ou d’Anglie et c’est également ce qu’indique le long épisode de la reine Thrytho, renfermant l’éloge d’Offa Ier, ancêtre des rois d’Anglie, seul lien apparent entre une matière purement scandinave et les tribus anglo-saxonnes auxquelles s'adressait le poète. De plus, maints détails de grammaire et de syntaxe, qui apparaissent dans le manuscrit transposé en anglo-saxon occidental, marquent un état plutôt archaïque de la langue et apparentent nettement, sous ce rapport spécial, la vieille épopée aux plus anciennes pièces de vers de la littérature anglaise, telles que les charmes d’origine païenne, le Widsith et le Chant de Deor. D'où il devient probable, a priori, que notre poème héroïque remonte à l’époque qui vit se constituer et s’affermir les premiers grands royaumes de souche germanique sur la côte orientale de l’Angleterre et que la date approximative de sa composition pourrait se placer aux environs de l’an 700 de notre ère. Date qui s’applique, cela va sans dire, à la seule apparition de l’œuvre en tant que cantilènes isolées et éparses, tandis que leur réunion en un même corps de poésie devrait être attribuée à une période postérieure.

Si maintenant on examine le Beowulf en soi, au point de vue de la matière, il apparaît, tel que l’ont montré Mullenhoff et ses émules, comme un amalgame comprenant un nombre variable de récits. Ces critiques allemands, entraînés par l’exemple de Fr. A. Wolf, qui, vers 1795, dépeça l’Iliade et l’Odyssée et en assigna les débris à une multitude de rhapsodes inconnus, voient partout dans l’épopée anglo-saxonne des redites, des raccords et des interpolations, et sacrifieraient à leurs scrupules les deux tiers de