Page:Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxons, trad. Thomas, 1919.djvu/29

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principaux du poème, de qualités purement morales, telles que la rectitude et la bonté comme elles apparaissent dans le dernier adieu du héros géate (id., v. 2739-2743) et dans l’éloge que font de lui ses vassaux en deuil, lorsqu’ils proclament qu’il a été « un grand roi du monde, le plus doux des humains et le plus débonnaire aux hommes, le plus aimable pour ses gens et le plus avide de louanges » (id., v. 3180-3182). Peut-être aussi l’influence chrétienne est-elle pour quelque chose dans ce sentiment de la précarité de l’existence et de la force d’âme exigée des meilleurs d’entre les mortels qui enveloppe l’épopée d’une atmosphère toute spéciale. Et s’il en était ainsi, l’on pourrait attribuer pour une part notable au christianisme primitif cette vague mélancolie qui s’empare de l’esprit à la lecture des plus anciennes pièces de vers anglaises.


Comment est né le poème de “Beowulf”.
Hypothèses diverses.


L’épopée dont on vient d’étudier les éléments fondamentaux soulève de nombreuses questions quant à sa composition littéraire. Sa complexité même a donné lieu aux conjectures les plus variées, dès qu’il s’est agi d’expliquer son apparition en vieil anglais. Pour un certain nombre de critiques, le Beowulf, bien qu’écrit en anglo-saxon, relèverait uniquement de quelque œuvre nordique, et sa structure intime comme sa filiation directe le rattacheraient aux plus anciens monuments de la poésie scandinave. Par le fond, il dériverait des cantilènes populaires répandues en Danemark et en Suède, dont un ménestrel anglien ou mercien se serait inspiré. Sa donnée païenne, la forme spéciale des légendes qu’il a redites, les noms qu’il célèbre et qui se retrouvent pour la plupart dans le recueil des mythes islandais en feraient une branche, isolée sans doute à la suite de quelque singulier hasard, mais apparentée à tout l’ensemble des traditions familières aux pays septentrionaux. C’est la thèse que soutenaient au siècle dernier les érudits de Copenhague avec quelques confrères anglais et allemands. L’un de ceux-ci, H. Möller, au cours d’un travail intitulé : « Le Beowulf et les autres fragments de l’épopée populaire en vieil anglais sous leur forme originelle et strophique[1] », alla plus loin que ses prédécesseurs. Il prétendit retrouver dans notre texte la division en quatrains réguliers chère aux Eddas poétiques dont ce texte ne serait dès lors qu’une imitation étrangère anticipée. Thèse ingénieuse, mais des plus sujettes à caution. L’on remarque que la répartition en quatrains, souvent fort arbitraire, entraîne de multiples difficultés et que la pratique de l’enjambement, si constante chez le scop du Beowulf, la contredit formellement. Enfin, les traces relevées plus

  1. Kiel, 1883.