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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/134

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les chevelus du Pinde en laissaient volontiers la patrie aux universitaires et le culte aux comédiens. Je suis encore de ceux, je l’avoue à mon dam, que Le Misanthrope embête profondément, et qui ont le courage de le dire. Je me rappelle qu’un jour, à la répétition de Plus que Reine à la Porte-Saint-Martin, je fus surpris de l’accueil réfrigérant de mes interprètes, si aimables à l’ordinaire. J’avais publié, la veille, un article où je faisais toutes mes réserves sur ce chef-d’œuvre biséculaire dont la philosophie de cour me paraît au moins périmée et la forme parfaitement lourde. Tout à coup, mon brave Coquelin parut au fond de la scène, et, écartant d’un geste les artistes, il piqua droit à moi, et, d’une voix d’assesseur au Jugement Dernier :

— Si j’avais su que tu n’aimasses pas Molière, je ne t’aurais pas joué ta pièce !

Il le savait pourtant depuis 1867, car il avait assisté à la gestation de la cantate, mais il l’avait oublié dans ses voyages.

Je me hâte de dire, cependant, qu’il m’en prêtait trop à ce sujet. J’aimerais beaucoup plus Molière que je ne l’aime, si ceux qui me le masquent l’aimaient moins, ou du moins si ceux qui l’aiment trop me le démasquaient davantage. Le fétichisme lasse l’adoration, et de là vient peut-être que je récalcitre au Misanthrope.

Or, il ne s’agissait pas, pour la cantate, de récalcitrer, non seulement au terrible Misanthrope, mais à n’importe quelle manifestation du Verbe subventionné, et il y avait à cela des raisons sérieuses qui, sous le nom de dettes criantes, clamaient chaque matin derrière ma porte déjà branlante. En somme,