Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/118

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quise de proverbe qu’une mouche harcelait pendant sa sieste et qui en venait à une telle démence, qu’elle finissait par se promettre et se rendre à l’amoureux, jusque-là dédaigné, qui d’un revers de main captait la bête féroce. Comme sous un tel patronage la réception était sûre, je m’attelai au badinage, mais il y fallait un Carmontelle ou un Théodore Leclercq et je n’étais ni l’un ni l’autre ; j’échouai donc honteusement, malgré une scène, hors scénario, de mon cru, où un valet à l’âme scatologique, s’écriait avec un geste d’effroi en montrant l’insecte :

— Ah ! madame, si pourtant c’en était une !…

J’ai dit la fidèle affection dont Émile Augier était entouré par ses intimes, et qui faisait de sa maison de Croissy l’habitacle philosophique de Socrate. Ceux-là mêmes qu’il n’y voyait plus, pour des raisons qu’expliquent les zigzags de la vie, lui restaient attachés, et leur constance suivait de loin sa fortune. J’en eus la preuve touchante et assez singulière à Monte-Carlo lors de ma cure sur les côtes liguriennes.

— Vous allez à Menton, m’avait dit bienveillamment l’oncle illustre de mon ami, guérissez-vous et donnez-nous de vos nouvelles. Vous ne résisterez pas à la démangeaison de flirter avec la Roulette et vous risquerez cent sous sur le gazon vert de son jardinet, tenez-vous-en là, et si vous rencontrez là-bas mon pauvre camarade Jomard — il y a aujourd’hui vingt-deux ans que je ne l’ai vu — dites-lui de ma part que je l’aime toujours, et qu’il me manque.

Et, avec un sourire triste : — Il était de la première de La Ciguë. C’est le propre fils du Jomard de l’Institut, l’égyptologue. Il était riche, mais il est