Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/199

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assister, sans les connaître, au triomphe de ses disciples, les Jules Dupré, les Daubigny, les François Millet, les Cabat, les Charles Jacque et tous les autres, grands réalistes de la palette française. La lumière a lui sur ce précurseur, et il n’est plus d’amateur qui, digne de ce nom, ne veuille posséder une vue « michelique » du vieux mont des Martyrs. Voyez celle-ci, « Les Chaumières ». Quelle émotion dans ces deux masures, tassées par la pluie ou les vents, humbles à pitié, d’où descend une pauvre femme tirant son enfant par la main. Le libérateur des moujiks doit aimer entre toutes cette toile où la fougue d’exécution sonne comme un cri d’humanité. Les choses parlent, dit le poète, elles pleurent aussi. Autre spécimen des recherches familières à l’artiste, Ruysdael signerait cette étude d’étendue, où moutonne comme la mer une plaine ensoleillée que couvre un dôme aérien, où se déroulent des nuages tragiques. À gauche une butte sombre s’avance en portant de coulisse, bossuée de cabanes assez sinistres, et elle recule encore à l’horizon ce site inquiétant qui n’est autre pourtant que la plaine des Vertus vue des hauteurs du mont chéri.

J’aurais été bien étonné que Charles Jacque ne figurât point dans le petit musée du Moscove. Je n’ai point eu cette déception ; il y occupe la place requise par deux morceaux de premier choix. L’un est un grand paysage normand qu’anime une bergère en robe rose, entourée de moutons et assise à l’ombre d’un bouquet de chênes. Personne ne construit mieux un arbre que Charles Jacque et ne l’agrafe au sol avec plus de puissance. Mais si vous voulez savoir ce que c’est qu’un chef-d’œuvre, regardez cette « Ber-