Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/264

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ce dos, terrible ou comique, disait déjà toute la pièce. La salle clamait, croulait, bondissait, il se retournait, elle était domptée. Ainsi Neptune fait de l’orage.

— Frédérick, un génie, c’est entendu, à qui le dites-vous ? Mon Choppard f… le camp devant son Robert Macaire. Mais le comédien français, de France, celui qu’ils n’ont pas eu en Angleterre, en Italie, en Allemagne, nulle part, que Paris seul pouvait produire et qu’on ne reverra plus, c’était Monsieur Mélingue.

Je me plaisais beaucoup à le faire ainsi causer des gens et des choses d’antan, et ma mémoire a emmagasiné nombre de bonnes anecdotes qu’il me contait sur une époque aimée entre toutes et qu’encore aujourd’hui, je tiens pour la plus artistique qu’ait vue mon pays : le siècle de Victor Hugo.

— Je n’étais pas le seul, dans ma partie, à scandaliser les ventripotents du Tiers, par la truculence de mes vêtements exaspérés, mes cravates flamboyantes, en rosaces de cathédrale, mes chapeaux mexicains et mes culottes à la chienlit. Au Boulevard du Crime, nous étions tous romantiques pratiquants, nous descendions dans la rue combattre l’ennemi glabre de cette liberté dans l’art qui, pour nous comédiens, se symbolisait dans le drame. L’un de nos exercices était de fasciner les passants qu’à leur allure, nous estimions sectateurs de Scribe, de Bouffé et du répertoire prudhommesque du Gymnase. Nous marchions sur leurs talons, à pas de Mohicans, en dardant sur eux les regards du boa sur l’âne, et il fallait qu’ils se retournassent, obsédés par le maléfice, envoûtés. Là comme partout ailleurs, Monsieur Mélingue nous damait le pion en puissance visuelle. Quand il en avait entrepris un, il arrivait par attrac-