Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/42

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Un soir où ses hymnes à la Vénus antique nous avaient jetés dans une langueur tout à fait panthéiste, une voix troua le silence : — Si nous chantions Les Deux Augures ? — Et pour la première fois je vis Paul Arène.

Les Deux Augures étaient les personnages d’un petit opéra-bouffe, d’ailleurs inachevé, dont le mélodiste, nommé Alma Rouch, ne s’est pas imposé à la mémoire des hommes. Il avait mis en musique plusieurs chansons du Pindare de Sisteron, et notamment une « Ronde des pharmaciens » dont la vogue était grande au quartier des Écoles. Encouragé par cette réussite, il s’était attaché à son parolier et il avait arraché à sa paresse impénitente et rébarbative les premières scènes d’un livret qui promettaient un chef-d’œuvre du genre. Ces premières scènes, traitées avec une verve remarquable, étaient la joie des soirées de Daudet, qui les savait par cœur et n’aimait rien tant que de les jouer avec Paul Arène lui-même. Ils se plaçaient, l’un à droite, l’autre à gauche du pianiste, et la comédie commençait. — Bonjour, ami cher. — Bonjour, cher ami. — Dormîtes-vous bien ? — Avez-vous dormi ?… Inutile de dire que l’infortuné Alma Rouch s’évertuait vainement à accorder sa musique avec celle de ses interprètes. Si l’un des deux augures devançait les bémols, l’autre retardait sur les dièses, chacun selon son tempérament, Daudet, grisé par les sons, Arène attaché à son verbe, et s’interrompant mutuellement par des imprécations hors texte d’une drôlerie irrésistible et désordonnée.

Le contraste entre ces deux méridionaux qui avaient été frères d’armes littéraires et qui s’en sont