Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/67

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transmis des deux bonnes santés, celle de l’âme et celle du corps. Ceux pour qui ce raisin est trop vert professent que la gaieté n’est en général que la fleur de bêtise, puisque, disent-ils, la vie est triste. Ils y voient le coup de l’autruche qui se cache la tête pour ne pas voir venir la mort. Soit, mais je me suis laissé dire que Jules César en fit autant, qui n’était pas un imbécile.

Il y a un trait de ma joyeuse aïeule maternelle qui toujours me ravit quand je l’évoque. Elle était obstinément courtisée par cet Augustin Burdet qui fut le graveur attitré de Raffet, de Devéria et des Johannot et elle ne parvenait pas à le décourager de ses vaines espérances. À bout de tous les moyens de défense, voici celui auquel elle eut recours. L’artiste était un romantique exalté et ma grand’mère était une bourgeoise. Elle avait, je ne sais comment, contracté une habitude qui, quoique assez usuelle chez les grandes dames du dix-huitième siècle, cadrait mal avec sa beauté et la grâce de ses vingt ans. Elle prisait en cachette.

Un jour que le graveur, plus pressant encore qu’à l’ordinaire, était tombé à ses pieds et, n’obtenant rien d’elle, lui demandait un gage au moins de sympathie, elle tira sa tabatière et huma une prise, puis, en éclatant de rire : — En usez-vous ? fit-elle.

Le contraste était si violent entre l’ange et son vice, que l’artiste se dressa, consterné et poussa un : Oh ! d’horreur. Il prit son chapeau et sa canne et s’en alla pour ne plus revenir. — Il était guéri, concluait-elle, quand elle me contait les choses de sa vie, là-bas, dans la clairière du bois de Frileuse, sur