Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/69

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puisque l’un et l’autre se dit ou se disent. Ma grand’mère, je le répète, était de bourgeoisie, elle avait tous les défauts comme toutes les qualités de sa classe et de son éducation, mi-libérale et mi-religieuse. Pour elle c’en était fini de cette mésalliance amoureuse. Elle ne pouvait pas pardonner deux fois. Les implacables sont ceux qui rient. Je ne l’ai jamais vu pleurer, quoiqu’elle fût très bonne, à cause de cela peut-être. L’émotion s’exprimait chez elle par le reniflement d’une prise de tabac qu’elle semait d’ailleurs autour d’elle, comme un pavot sa graine, et puis, en avant la musique, la volonté se tendait, l’acte sortait déjà de la décision. Que ne m’a-t-elle transmis son énergie !

— Et en quittant votre mari où donc êtes-vous allée, grand’mère ?

— Dans Paris, faisait-elle avec le geste en zigzag de s’enfoncer comme Agar dans le désert. Me réfugier une seconde fois, à Limours, dans ma famille, tu ne l’aurais pas voulu, mon garçon. On a sa fierté de fille, de femme et de mère. Je m’étais trompée dans mon choix, je ne voulais pas qu’on me le dise. Et puis il serait venu me reprendre, c’était son droit, moi et ta mère, et je le haïssais, j’aurais fini par le tuer. Ça ne se commande pas, ces choses-là, quand on déteste. Enfin le bon Dieu me vint en aide.

— Comment ?

— À la prière de saint François de Sales, notre parent et le protecteur de notre famille. Il voulut que Peyrot devînt fou. Il me cherchait partout et me faisait chercher par ses compagnons de la truelle. Il en perdait le boire et le manger. Il ne faisait plus œuvre de ses dix doigts. Il épuisait ses