Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/77

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pas revu depuis le temps où il publiait son pamphlet hebdomadaire : Le Diable à quatre, c’est-à-dire depuis 1858, et qui ressemble de plus en plus à Voltaire, à moins que Houdon n’ait menti.

« Mme Drouet me prend le bras et l’on passe à la salle à manger, en défilé, selon le rite, Victor Hugo en dernier, car « il est chez elle, et non chez lui », et il s’amuse à défriser Jeanne « dont on ne voit pas le front sous les boucles ». Il veut voir le front des femmes dans tout leur développement lumineux. Telle est sa théorie romantique. Jeanne boude. Elle s’a frisée pour rien alors ? Mais il ira, s’il le faut, jusqu’à la dépeigner avec sa fourchette ! Et il la brandit, sa fourchette. Terrible scène de famille !…

« Les convives sont Monselet, Gouzien, Richard Lesclide et sa fille, et le poète Elzéar. Victor Hugo occupe un bout de la tablée, à titre « du plus vieux invité », et Lockroy l’autre bout, près de la porte, « pour être plus à la portée de ses électeurs ». — Nous n’avons pas d’hommes politiques aujourd’hui, dit Mme Drouet, on peut causer chiffons et littérature.

« Victor Hugo a un appétit d’ogre, et là aussi il l’emporte sur Monselet, dont la réputation de mangeur est une pure blague. Monselet cache sous un renom de gourmet expert une inappétence évidente aux choses de gueule. Victor Hugo mange comme un maçon, de tout, tout le temps, et il met à cul sa bouteille. Le seul convive qui lui tienne tête, c’est Gouzien, le brave et bon Armand Gouzien, double sectateur de Pantagruel, pour la fringale et la joie. En outre il a pénétré le goût secret du maître pour