Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/9

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mais non des New Yorkais. À Paris, les plantes exotiques reprennent racine et rendent floraison : un Henri Heine y devient aussi parisien que Voltaire. On n’exile pas à Paris, et pour cause.

Paris qui n’est à personne est par cela même à tout le monde. Il ne reste qu’à le prendre. Or pour le prendre il n’est que deux moyens, pas d’autres, le travail et la gaieté — tous ses aborigènes le savent, tous ses naturalisés le disent — et le reste est blague et temps perdu. S’il y a babylone, c’est babylone de labeur, avec cette dominante que la besogne y chante, que la tâche y rit et que l’effort ne s’en fait pas accroire. Dans cet Etna la bonne humeur signe le livret des Cyclopes.

Aujourd’hui encore, au bout de cinquante années d’exercice, ma foi là-dessus reste entière. Paris est aux laborieux allègres, il n’est qu’à eux, et, tant que la Seine reflétera entre ses ponts Notre-Dame, le Palais de Justice et l’Arc, rien ne sera changé à la loi ethnique et climatérique qui leur assure le pain d’épeautre, le vin de coteaux, et des fleurs pour leurs amours.

Jusqu’à la mort de Théophile Gautier — 23 octobre 1872 — nous occupions, ma chère femme et moi, le second étage de la maison de la rue de Longchamp, c’est-à-dire l’atelier-bibliothèque qu’il y avait fait aménager. Cette cohabitation avait été la condition fondamentale du mariage, le pauvre père ne se résignant nullement à se séparer de sa fille selon des usages « occidentaux » que ne ratifie pas la nature.

Cet atelier, il nous l’avait d’ailleurs meublé, d’abord d’un lit en riche pitchpin, à montants de bambou, et d’une armoire à glace de même style Second Empire