Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/166

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vous, me cria-t-il de loin, attendez-moi, je suis à vous dans un instant. — Et, coupant court, en effet, à la conférence électorale, il me prit par le bras et m’entraîna dans la rue.

— Alors, alors, alors, c’est vous qui êtes Adolphe Racot ? Il y a dix ans que je désire vous connaître. — Comment, dix ans ? Pourquoi ? Comment ? Qu’y a-t-il donc, Monsieur le baron ?

« Il se pencha à mon oreille et fit : — Et la comtesse ?

— « Quelle comtesse ?

— « Mais la comtesse dans l’armoire de fer ! Vous l’y avez oubliée, la malheureuse ! Est-ce qu’elle y est encore ? Elle doit y mourir de faim. »

« Et c’était vrai, terminait Racot, j’avais laissé, sans songer à elle, la comtesse de mon roman enfermée dans ce placard sinistre. Il ne pensait qu’à ça, depuis dix ans, l’homme de finances formidable. Et ils sont tous ainsi à la Corbeille ! Des gosses, vous dis-je. »

Or donc, cette puérilité des gens d’argent attestée par le récit de mon spirituel confrère m’avait disposé à risquer visite à ce baron à l’âme de concierge. Quand on souffre pendant dix ans, malgré krachs et cataclysmes, d’une comtesse enclose dans une armoire de fer on ne peut pas être insensible au sort, presque analogue, d’un journal dont la Société, hier encore lumineusement coopérative, est menacée d’anonymat.

J’ai totalement oublié le nom de l’établissement de crédit auquel présidait M. de Soubeyran, et ce qu’il y a de pire c’est que, si vous me le jetiez encore en ce moment dans l’oreille gauche, il me sortirait