Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/62

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spectateur. S’il fallait traduire ce sourire et ce geste par un mot, il n’y en aurait pas de plus juste que celui-ci : « Il est dompté. » Quant à lui, le bon compère, il rit de toutes ses dents, heureux de sentir le poids de la petite main qui le gouverne. Si ce portrait est bien celui de Hals, il n’est pas douteux que le maître ait été un bonhomme tout rond, très spirituel et fort sensuel, mais incapable des noirceurs calculées qui caractérisent le méchant coucheur. Lysbeth avait compris au rebours d’Anneke le rôle et les devoirs que lui imposait l’amour d’un être tel que Frans, ami incorrigible du plaisir et de la gaieté. Au lieu de rompre en visière avec les habitudes invétérées de son mari, elle commença par s’y prêter de bonne grâce. L’habileté de sa politique féminine est révélée par le sourire extraordinairement expressif de ce portrait. Sur la foi de sa malice, on nous dirait que Lysbeth poussa la diplomatie conjugale jusqu’à aller elle-même à la Pipe bâtarde, pour y accompagner Frans Hals, que nous n’aurions aucune peine à le croire.

Quoi qu’il faille en penser d’ailleurs, l’influence de Lysbeth Reyniers détermina chez lui, sinon une modification de manière, du moins un courant de travail salutaire et des recherches de modèles plus recommandables. Devenu père, Frans Hals à cette époque peignit beaucoup d’enfants, et l’on sent qu’il aimait à les peindre ; mais toujours fidèle à sa philosophie ou, si l’on veut, à son tempérament, il ne les représenta que riant. Le rire, son expression favorite, la dominante de son génie heureux, éclaire et dilate tous les visages roses de ses babys. Il y a dans son œuvre un sujet qu’il a traité plusieurs fois et qui