Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/78

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« Je suis un malheureux vieillard qui n’en a pas pour longtemps.

« Le ciel a voulu que toutes les affaires que j’ai entreprises fussent couronnées de succès. Ma fortune, que j’ai acquise à la sueur de mon front, pour ne pas faire pendant à celle de M. de Rothschild, n’est pas à dédaigner non plus. J’ai cent cinquante bonnes mille livres de rente, que je vous lègue, et qui vous permettront, j’espère, de grésiller non pas une mais plusieurs saucisses entre deux museaux humides de braves bêtes, comme vous le dites avec tant de passion.

« Mais hélas ! plût au ciel qu’à la place de cette fortune qui ne m’a à rien servi j’eusse une petite dose de cette gaieté dont vous paraissez si abondamment pourvu ! Malheureusement, c’est trop tard. Je sens que mes jours sont comptés. Seul au monde et sans famille, je puis vous dire en toute sincérité que je n’ai pas eu jusqu’à présent une seule goutte de vrai bonheur. Toute ma vie n’a été qu’un long rêve de tristesse.

« Je n’ai pas l’honneur, monsieur, d’appartenir à votre nation, quoique je chérisse votre pays à l’égard du mien. Dans tous les événements qui se déroulent chez vous, j’assiste par la pensée, sinon par la matière, et je prends une part aussi vive dans les questions touchant la prospérité de votre pays que le meilleur des patriotes.

« Mon testament par lequel je vous constitue mon unique héritier sera déposé au Consulat de France de cette ville et je sens que vous n’en attendrez pas longtemps l’ouverture.

« Inutile de vous dire le nom de celui que vous ne connaissez pas mais que vous bénirez un jour.