Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/70

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demandons-nous si l’idée de nombre n’impliquerait pas la représentation de quelque autre chose encore.

Il ne suffit pas de dire que le nombre est une collection d’unités ; il faut ajouter que ces unités sont identiques entre elles, ou du moins qu’on les suppose identiques dès qu’on les compte. Sans doute on comptera les moutons d’un troupeau et l’on dira qu’il y en a cinquante, bien qu’ils se distinguent les uns des autres et que le berger les reconnaisse sans peine ; mais c’est que l’on convient alors de négliger leurs différences individuelles pour ne tenir compte que de leur fonction commune. Au contraire, dès qu’on fixe son attention sur les traits particuliers des objets ou des individus, on peut bien en faire l’énumération, mais non plus la somme. C’est à ces deux points de vue bien différents qu’on se place quand on compte les soldats d’un bataillon, et quand on en fait l’appel. Nous dirons donc que l’idée de nombre implique l’intuition simple d’une multiplicité de parties ou d’unités, absolument semblables les unes aux autres.

Et pourtant il faut bien qu’elles se distinguent par quelque endroit, puis­qu’elles ne se confondent pas en une seule. Supposons tous les moutons du troupeau identiques entre eux ; ils diffèrent au moins par la place qu’ils occupent dans l’espace ; sinon, ils ne formeraient point un troupeau. Mais laissons de côté les cinquante moutons eux-mêmes pour n’en retenir que l’idée. Ou nous les comprenons tous dans la même image, et il faut bien par conséquent que nous les juxtaposions dans un espace idéal ; ou nous répétons cinquante fois de suite l’image d’un seul d’entre eux, et il semble alors que la série prenne place dans la durée plutôt que dans l’espace. Il n’en est rien cependant. Car si je me figure tour à tour, et isolément, chacun des moutons du troupeau, je n’aurai jamais affaire qu’à un seul mouton. Pour que le nombre en aille croissant à mesure que j’avance, il faut