Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
128
LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

une « division du travail » ? Ces mots ne donneraient pas une idée exacte de l’évolution, telle que nous nous la représentons. Là où il y a division du travail, il y a association et il y a aussi convergence d’effort. Au contraire, l’évolution dont nous parlons ne s’accomplit jamais dans le sens d’une association, mais d’une dissociation, jamais vers la convergence, mais vers la divergence des efforts. L’harmonie entre termes qui se complètent sur certains points ne se produit pas, d’après nous, en cours de route par une adaptation réciproque ; au contraire elle n’est tout à fait complète qu’au départ. Elle dérive d’une identité originelle. Elle vient de ce que le processus évolutif, qui s’épanouit en forme de gerbe, écarte les uns des autres, au fur et à mesure de leur croissance simultanée, des termes d’abord si bien complémentaires qu’ils étaient confondus.

Il s’en faut d’ailleurs que les éléments en lesquels une tendance se dissocie aient tous la même importance, et surtout la même puissance d’évoluer. Nous venons de distinguer trois règnes différents, si l’on peut s’exprimer ainsi, dans le monde organisé. Tandis que le premier ne comprend que des micro-organismes restés à l’état rudimentaire, animaux et végétaux ont pris leur essor vers de très hautes fortunes. Or, c’est là un fait qui se produit d’ordinaire quand une tendance s’analyse. Parmi les développements divergents auxquels elle donne naissance, les uns continuent indéfiniment, les autres arrivent plus ou moins vite au bout de leur rouleau. Ces derniers ne proviennent pas directement de la tendance primitive, mais de l’un des éléments en lesquels elle s’est divisée : ce sont des développements résiduels, effectués et déposés en cours de route par quelque tendance vraiment élémentaire, qui continue, elle, à évoluer. Quant à ces tendances