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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

l’énergie potentielle à convertir en mouvement de locomotion[1]. Il est vrai que, plus la fonction nerveuse se perfectionne, plus les fonctions destinées à la soutenir ont à se développer et deviennent par conséquent exigeantes pour elles-mêmes. À mesure que l’activité nerveuse a émergé de la masse protoplasmique où elle était noyée, elle a dû appeler autour d’elle des activités de tout genre sur lesquelles s’appuyer : celles-ci ne pouvaient se développer que sur d’autres activités, qui en impliquaient d’autres encore, indéfiniment. C’est ainsi que la complication de fonctionnement des organismes supérieurs va à l’infini. L’étude d’un de ces organismes nous fait donc tourner dans un cercle, comme si tout y servait de moyen à tout. Ce cercle n’en a pas moins un centre, qui est le système d’éléments nerveux tendus entre les organes sensoriels et l’appareil de locomotion.

Nous ne nous appesantirons pas ici sur un point que nous avons longuement traité dans un travail antérieur. Rappelons seulement que le progrès du système nerveux s’est effectué, tout à la fois, dans le sens d’une adaptation plus précise des mouvements et dans celui d’une plus grande latitude laissée à l’être vivant pour choisir entre eux. Ces deux tendances peuvent paraître antagonistes, et elles le sont en effet. Une chaîne nerveuse, même sous sa forme la plus rudimentaire, arrive cependant à les

  1. Cuvier disait déjà : « Le système nerveux est, au fond, tout l’animal ; les autres systèmes ne sont là que pour le servir » (Sur un nouveau rapprochement à établir entre les classes qui composent le règne animal, Archives du Museum d’histoire naturelle, Paris, 1812, p. 73-84). Il faudrait naturellement apporter à cette formule une foule de restrictions, tenir compte, par exemple, des cas de dégradation et de régression où le système nerveux passe à l’arrière-plan. Et surtout il faut joindre au système nerveux les appareils sensoriels d’un côté, moteurs de l’autre, entre lesquels il sert d’intermédiaire. Cf. Foster, art. Physiology de l’Encyclopaedia Britannica, Edinburgh, 1885, p. 17.